Jules Laforgue |
Un Mari fort amoureux, Fort amoureux de sa Femme, Bien qu'il fût jouissant, se croyoit malheureux. Jamais oillade de la dame. Propos flatteur et gracieux, Mot d'amitié, ni doux sourire, Déifiant le pauvre sire, N'avoient fait soupçonner qu'il fût vraiment chéri. Je le crois : c'étoit un mari. Il ne tint point à l'hyménée Que, content de sa destinée. Il n'en remerciât les Dieux. Mais quoi? si l'amour n'assaisonne Les plaisirs que l'hymen nous donne, Je ne vois pas qu'on en soit mieux. Notre Épouse étant donc de la sorte bâtie. Et n'ayant caressé son mari de sa vie, Il en faisoit sa plainte une nuit. Un Voleur Interrompit la doléance. La pauvre femme eut si grand'peur Qu'elle chercha quelque assurance Entre les bras de son époux. « Ami Voleur, dit-il, sans toi ce bien si doux Me seroit inconnu. Prends donc en récompense Tout ce qui peut chez nous être à ta bienséance; Prends le logis aussi. » Les voleurs ne sont pas Gens honteux, ni fort délicats : Celui-ci fit sa main. J'infère de ce conte Que la plus forte passion C'est la peur : elle fait vaincre l'aversion. Et l'amour quelquefois; quelquefois il la dompte; J'en ai pour preuve cet amant Qui brûla sa maison pour embrasser sa dame, L'emportant à travers la flamme. J'aime assez cet emportement; Le conte m'en a plu toujours infiniment : Il est bien d'une âme espagnole. Et plus grande encore que folle. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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