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Jules Laforgue



Le rat et l'huitre - Fable


Fable / Poémes d'Jules Laforgue





Un
Rat, hôte d'un champ, rat de peu de cervelle,
Des lares paternels un jour se trouva sou.
Il laisse là le champ, le grain, et la javelle,
Va courir le pays, abandonne son trou.
Sitôt qu'il fut hors de la case :



«
Que le monde, dit-il, est grand et spacieux!

Voilà les
Apennins, et voici le
Caucase. »

La moindre taupinée étoit mont à ses yeux.

Au bout de quelques jours, le voyageur arrive

En un certain canton où
Téthys sur la rive

Avoit laissé mainte huître; et notre
Rat d'abord

Crut voir, en les voyant, des vaisseaux de haut bord.

«
Certes, dit-il, mon père étoit un pauvre sire :

Il n'osoit voyager, craintif au dernier point.

Pour moi, j'ai déjà vu le maritime empire;

J'ai passé les déserts, mais nous n'y bûmes point. »

D'un certain magister le
Rat tenoit ces choses,

Et les disoit à travers champs.
N'étant pas de ces rats qui, les livres rongeants,

Se font savants jusques aux dents.

Parmi tant d'huîtres toutes closes
Une s'étoit ouverte; et, bâillant au soleil,

Par un doux zéphir réjouie,
Humoit l'air, respiroit, étoit épanouie,
Blanche, grasse, et d'un goût, à la voir, nompareil.
D'aussi loin que le
Rat voit cette
Huître qui bâille : «
Qu'aperçois-je? dit-il, c'est quelque victuaille;
Et, si je ne me trompe à la couleur du mets.
Je dois faire aujourd'hui bonne chère, ou jamais. »
Là-dessus, maître
Rat, plein de belle espérance.
Approche de l'écaillé, allonge un peu le cou, '
Se sent pris comme aux lacs; car l'Huître tout d'un coup
Se referme : et voilà ce que fait l'ignorance.



Cette fable contient plus d'un enseignement :

Nous y voyons premièrement
Que ceux qui n'ont du monde aucune expérience
Sont, aux moindres objets, frappés d'étonnement;
Et puis nous y pouvons apprendre
Que tel est pris qui croyoit prendre.



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Jules Laforgue
(1860 - 1887)
 
  Jules Laforgue - Portrait  
 
Portrait de Jules Laforgue

Biographie jules laforgue

«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè

Orientation bibliographique / Ouvres

L'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit

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