Jules Laforgue |
Un Renard, jeune encor, quoique des plus madrés, Vit le premier Cheval qu'il eût vu de sa vie. Il dit à certain Loup, franc novice : « Accourez, Un animal paît dans nos prés. Beau, grand; j'en ai la vue encor toute ravie. - Est-il plus fort que nous? dit le Loup en riant. Fais-moi son portrait, je te prie. - Si j'étois quelque peintre ou quelque étudiant, Repartit le Renard, j'avancerois la joie Que vous aurez en le voyant. Mais venez. Que sait-on? peut-être est-ce une proie Que la Fortune nous envoie. » Ils vont; et le Cheval, qu'à l'herbe on avoit mis. Assez peu curieux de semblables amis, Fut presque sur le point d'enfiler la venelle. « Seigneur, dit le Renard, vos humbles serviteurs Apprendraient volontiers comment on vous appelle. » Le Cheval, qui n'étoit dépourvu de cervelle, Leur dit : « Lisez mon nom, vous le pouvez. Messieurs : Mon cordonnier l'a mis autour de ma semelle. » Le Renard s'excusa sur son peu de savoir. « Mes parents, reprit-il, ne m'ont point fait instruire; Ils sont pauvres et n'ont qu'un trou pour tout avoir; Ceux du Loup, gros Messieurs, l'ont fait apprendre à Le Loup, par ce discours flatté, [lire. » S'approcha. Mais sa vanité Lui coûta quatre dents : le Cheval lui desserre Un coup; et haut le pied. Voilà mon Loup par terre. Mal en point, sanglant et gâté. « Frère, dit le Renard, ceci nous justifie Ce que m'ont dit des gens d'esprit : Cet animal vous a sur la mâchoire écrit Que de tout inconnu le sage se méfie. » |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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