Jules Laforgue |
Jadis certain Mogol vit en songe un Vizir Aux Champs Élysiens possesseur d'un plaisir Aussi pur qu'infini, tant en prix qu'en durée : Le même songeur vit en une autre contrée Un Ermite entouré de feux. Qui touchoit de pitié même les malheureux. Le cas parut étrange, et contre l'ordinaire : Minos en ces deux morts sembloit s'être mépris. Le dormeur s'éveilla, tant il en fut surpris. Dans ce songe pourtant soupçonnant du mystère. Il se fit expliquer l'affaire. L'interprète lui dit : « Ne vous étonnez point; Votre songe a du sens; et, si j'ai sur ce point Acquis tant soit peu d'habitude. C'est un avis des Dieux. Pendant l'humain séjour, Ce Vizir quelquefois cherchoit la solitude; Cet Ermite aux Vizirs alloit faire sa cour. » Si j'osois ajouter au mot de l'interprète, J'inspirerois ici l'amour de la retraite : Elle offre à ses amants des biens sans embarras, Biens purs, présents du Ciel, qui naissent sous les pas. Solitude, où je trouve une douceur secrète, Lieux que j'aimai toujours, ne pourrai-je jamais, Loin du monde et du bruit, goûter l'ombre et le frais? Oh! qui m'arrêtera sous vos sombres asiles? Quand pourront les neuf Sours, loin des cours et des [villes, M'occuper tout entier, et m'apprendre des cieux Les divers mouvements inconnus à nos yeux, Les noms et les vertus de ces clartés errantes Par qui sont nos destins et nos mours différentes! Que si je ne suis né pour de si grands projets. Du moins que les ruisseaux m'offrent de doux objets! Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie! La Parque à filets d'or n'ourdira point ma vie. Je ne dormirai point sous de riches lambris : Mais voit-on que le somme en perde de son prix? En est-il moins profond, et moins plein de délices? Je lui voue au désert de nouveaux sacrifices. Quand le moment viendra d'aller trouver les morts, J'aurai vécu sans soins, et mourrai sans remords. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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