Jules Laforgue |
Un octogénaire plantoit. « Passe encor de bâtir; mais planter à cet âge! Disoient trois jouvenceaux, enfants du voisinage; Assurément, il radotoit. Car, au nom des Dieux, je vous prie. Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir? Autant qu'un patriarche il vous faudroit vieillir. A quoi bon charger votre vie Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous? Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées; Quittez le long espoir et les vastes pensées; Tout cela ne convient qu'à nous. - Il ne convient pas â vous-mêmes. Repartit le Vieillard. Tout établissement Vient tard, et dure peu. La main des Parques blêmes De vos jours et des miens se joue également. Nos termes sont pareils par leur courte durée. Qui de nous des clartés de la voûte azurée Doit jouir le dernier? Est-il aucun moment Qui vous puisse assurer d'un second seulement? Mes arrière-neveux me devront cet ombrage : Eh bien! défendez-vous au sage De se donner des soins pour le plaisir d'autrui? Cela même est un fruit que je goûte aujourd'hui : J'en puis jouir demain, et quelques jours encore; Je puis enfin compter l'aurore Plus d'une fois sur vos tombeaux. » Le Vieillard eut raison : l'un des trois jouvenceaux Se noya dès le port, allant à l'Amérique; L'autre, afin de monter aux grandes dignités, Dans les emplois de Mars servant la République, Par un coup imprévu vit ses jours emportes; Le troisième tomba d'un arbre Que lui-même il voulut enter; Et, pleures du Vieillard, il grava sur leur marbre Ce que je viens de raconter. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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