Jules Laforgue |
Armoriai d'anémie ! Psautier d'automne ! Offertoire de tout mon ciboire de bonheur et de génie À cette hostie si féminine. Et si petite toux sèche maligne. Qu'on voit aux jours déserts, en inconnue, Sertie en de cendreuses toilettes qui sentent déjà l'hiver, Se fuir le long des cris surhumains de la Mer. Grandes amours, oh ! qu'est-ce encor ?... En tous cas, des lèvres sans façon, Des lèvres déflorées, Et quoique mortes aux chansons, Après encore à la curée. Mais les yeux d'une âme qui s'est bel et bien cloîtrée. Enfin ; voici qu'elle m'honore de ses confidences. J'en souffre plus qu'elle ne pense. - « Mais, chère perdue, comment votre esprits éclairé « Et le stylet d'acier de vos yeux infaillibles, « N'ont-Us pas su percer à jour la mise en frais « De cet économique et passager bellâtre ? » - « Il vient le premier ; j'étais seule près de l'âtre ; « Son cheval attaché à la grille « Hennissait en désespéré... » - « C'est touchant (pauvre fille) « Et puis après ? « Oh ! regardez, là-bas, cet épilogue sous couleur de couchant ! « Et puis, vrai, « Remarquez que dès l'automne, l'automne ! « Les casinos, « Qu'on abandonne « Remisent leur piano ; « Hier l'orchestre attaqua « Sa dernière polka, « Hier, la dernière fanfare « Sanglotait vers les gares... » (Oh ! comme elle est maigrie ! Que va-elle devenir ? Durcissez, durcissez, Vous, caillots de souvenir !) - « Allons, les poteaux télégraphiques « Dans les grisailles de l'exil « Vous serviront de pleureuses de funérailles ; « Moi, c'est la saison qui veut que je m'en aille, « Voici l'hiver qui vient. « Ainsi soi!-il. « Ah ! soignez-vous ! Portez-vous bien. « Assez ! assez ! « C'est toi qui as commencé ! « Tais-toi ! Vos moindres clins d'yeux sont des parjures « Laisse ! Avec vous autres rien ne dure. « Va, je te l'assure, « Si je t'aimais, ce serait par gageure. « Tais-toi ! tais-toi ! « On n'aime qu'une fois ! » Ah ! Voici que l'on compte enfin avec Moi ! Ah ! ce n'est plus l'automne, alors. Ce n'est plus l'exil. C'est la douceur des légendes, de l'âge d'or, Des légendes des Antigones, Douceur qui fait qu'on se demande : « Quand donc cela se passait-il ? » C'est des légendes, c'est des gammes perlées, Qu'on m'a tout enfant enseignées, Oh ! rien, vous dis-je, des estampes, Les bêtes de la terre et les oiseaux du ciel Enguirlandant les majuscules d'un Missel, Il n'y a pas là tant de quoi saigner ? Saigner ? moi pétri du plus pur limon de Cybèle ! Moi qui lui eusse été dans tout l'art des Adams Des Edens aussi hyperboliquement fidèle Que l'est le Soleil chaque soir envers l'Occident !... Oh ! qu'une, d'EIle-même, un beau soir, sût venir Ne voyant plus que boire à mes lèvres, ou mourir !... Oh ! Baptême ! Oh ! baptême de ma Raison d'être ! Faire naître un « Je t'aime ! » Et qu'il vienne à travers les hommes et les dieux, Sous ma fenêtre, Baissant les yeux ! Qu'il vienne, comme à l'aimant la foudre, Et dans mon ciel d'orage qui craque et qui s'ouvre. Et alors, les averses lustrales jusqu'au matin. Le grand Glapissement des averses toute la nuit ! Enfin ! Qu'Elie vienne ! et, baissant les yeux Et s'essuyant les pieds Au seuil de notre église, ô mes aïeux Ministres de la Pitié, Elle dise : « Pour moi, tu n'es pas comme les autres hommes, « Ils sont ces messieurs, toi tu viens des cieux. « Ta bouche me fait baisser les yeux « Et ton port me transporte « Et je m'en découvre des trésors ! « Et je sais parfaitement que ma destinée se borne « (Oh, j'y suis déjà bien habituée !) « À te suivre jusqu'à ce que tu te retournes, « Et alors t'exprimer comment tu es ! « Vraiment je ne songe pas au reste ; j'attendrai « Dans l'attendrissement de ma vie faite exprès. « Que je te dise seulement que depuis des nuits je pleure, « Et que mes sours ont bien peur que je n'en meure. « Je pleure dans les coins, je n'ai plus goût à rien ; « Oh, j'ai tant pleuré dimanche dans mon paroissien ! « Tu me demandes pourquoi toi et non un autre, « Ah, laisse, c'est bien toi et non un autre. « J'en suis sûre comme du vide insensé de mon cour « Et comme de votre air mortellement moqueur. » Ainsi, elle viendrait, évadée, demi-morte, Se rouler sur le paillasson que j'ai mis à cet effet devant ma porte. Ainsi, elle viendrait à Moi avec des yeux absolument fous, Et elle me suivrait avec ces yeux-là partout, partout ! Ô géraniums diaphanes, guerroyeurs sortilèges. Sacrilèges monomanes ! Emballages, dévergondages, douches ! 0 pressoirs Des vendanges des grands soirs ! Layettes aux abois, Thyrses au fond des bois ! Transfusions, représailles , Relevailles, compresses et l'étemelle potion. Angélus ! n'en pouvoir plus De débâcles nuptiales ! de débâcles nuptiales !... Et puis, ô mes amours, À moi, son tous les jours O ma petite mienne, ô ma quotidienne. Dans mon petit intérieur, C'est-à-dire plus jamais ailleurs ! Ô ma petite quotidienne !... Et quoi, encore ? Oh du génie ! Improvisations aux insomnies ! Et puis ? L'observer dans le monde. Et songer dans les coins : « Oh ! qu'elle est loin ! Oh ! qu'elle est belle ! « Oh ! qui est-elle ? À qui est-elle ? « Oh ! quelle inconnue ! Oh ! lui parler ! Oh ! l'emmener ! » (Et, en effet, à la fin du bal, Elle me suivrait d'un air tout simplement fatal.) Et puis, l'éviter des semaines Après lui avoir fait de la peine. Et lui donner des rendez-vous. Et nous refaire un chez nous. Et puis, la perdre des mois et des mois, À ne plus reconnaître sa voix !... Oui, le Temps salit tout. Mais, hélas ! sans en venir à bout. Hélas ! hélas ! et plus la faculté d'errer, Hypocondrie et pluie, Et seul sous les vieux cieux. De me faire le fou. Le fou sans feux ni lieux (Le pauvre, pauvre fou sans amours !) Pour, alors, tomber bien bas À me purifier la chair, Et exulter au petit jour En me fuyant en chemin de fer, Ô Belles-Lettres, ô Beaux-Arts, Ainsi qu'un Ange à part ! J'aurai passé ma vie le long des quais À faillir m'embarquer Dans de bien funestes histoires, Tout cela pour l'amour De mon cour fou de la gloire d'amour. Oh ! qu'ils sont pittoresques les trains manques !... Oh ! qu'ils sont « À bientôt ! à bientôt ! » Les bateaux Du bout de la jetée !... De la jetée charpentée Contre la mer, Comme ma chair Contre l'amour. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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