Jules Laforgue |
Dès que les Chèvres ont brouté, Certain esprit de liberté Leur fait chercher fortune : elles vont en voyage Vers les endroits du pâturage Les moins fréquentés des humains : Là, s'il est quelque lieu sans route et sans chemins, Un rocher, quelque mont pendant en précipices, C'est où ces dames vont promener leurs caprices. Rien ne peut arrêter cet animal grimpant. Deux Chèvres donc s'émancipant. Toutes deux ayant patte blanche, Quittèrent les bas prés, chacune de sa part : L'une vers l'autre alloit pour quelque bon hasard. Un ruisseau se rencontre, et pour pont une planche. Deux belettes à peine auroient passé de front Sur ce pont. D'ailleurs, l'onde rapide et le ruisseau profond Dévoient faire trembler de peur ces amazones. Malgré tant de dangers, l'une de ces personnes Pose un pied sur la planche, et l'autre en fait autant. Je m'imagine voir, avec Louis le Grand, Philippe Quatre qui s'avance Dans l'île de la Conférence. Ainsi s'avançoient pas à pas, Nez à nez, nos aventurières. Qui, toutes deux étant fort fières, Vers le milieu du pont ne se voulurent pas L'une à l'autre céder. Elles avoient la gloire De compter dans leur race, à ce que dit l'histoire, L'une, certaine Chèvre, au mérite sans pair, Dont Polyphème fit présent à Galatée; Et l'autre la Chèvre Amalthée, Par qui fut nourri Jupiter. Faute de reculer, leur chute fut commune : Toutes deux tombèrent dans l'eau. Cet accident n'est pas nouveau Dans le chemin de la Fortune. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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