Jules Laforgue |
Les vertus devroient être sours, Ainsi que les vices sont frères. Dès que l'un de ceux-ci s'empare de nos cours, Tous viennent à la file; il ne s'en manque guères : J'entends de ceux qui, n'étant pas contraires, Peuvent loger sous même toit. A l'égard des vertus, rarement on les voit Toutes en un sujet éminemment placées Se tenir par la main sans être dispersées. L'un est vaillant, mais prompt; l'autre est prudent, mais [froid. Parmi les animaux, le chien se pique d'être Soigneux, et fidèle à son maître; Mais il est sot, il est gourmand : Témoin ces deux mâtins qui, dans l'éloignement, Virent un Ane mort qui fiottoit sur les ondes. Le vent de plus en plus l'éloignoit de nos Chiens. h Ami, dit l'un, tes yeux sont meilleurs que les miens : Porte un peu tes regards sur ces plaines profondes; J'y crois voir quelque chose. Est-ce un bouf, un cheval? - Hé! qu'importe quel animal? Dit l'un de ces mâtins; voilà toujours curée. Le point est de l'avoir; car le trajet est grand, Et, de plus, il nous faut nager contre le vent. Buvons toute cette eau; notre gorge altérée En viendra bien à bout : ce corps demeurera Bientôt à sec, et ce sera Provision pour la semaine. » Voilà mes Chiens à boire : ils perdirent l'haleine, Et puis la vie; ils firent tant Qu'on les vit crever à l'instant. L'homme est ainsi bâti : quand un sujet l'enflamme, L'impossibilité disparoît à son âme. Combien fait-il de voux, combien perd-il de pas, S'outrant pour acquérir des biens ou de la gloire! « Si j'arrondissois mes Etats! Si je pouvois remplir mes coffres de ducats! Si j'apprenois l'hébreu, les sciences, l'histoire! » Tout cela, c'est la mer à boire; Mais rien à l'homme ne suffit. Pour fournir aux projets que forme un seul esprit. Il faudroit quatre corps; encor, loin d'y suffire, A mi-chemin je crois que tous demeureroient : Quatre Mathusalems bout à bout ne pourroient Mettre à fin ce qu'un seul désire. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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