Jules Laforgue |
Rien ne pèse tant qu'un secret : Le porter loin est difficile aux dames; Et je sais même sur ce fait Bon nombre d'hommes qui sont femmes. Pour éprouver la sienne un Mari s'écria, La nuit, étant près d'elle : « O Dieux! qu'est-ce cela? Je n'en puis plus! on me déchire! Quoi? j'accouche d'un ouf! - D'un ouf? - Oui, le voilà. Frais et nouveau pondu. Garde/ bien de le dire : On m'appelleroit poule; enfin n'en parlez pas. » La Femme, neuve sur ce cas, Ainsi que sur mainte autre affaire. Crut la chose, et promit ses grands dieux de se taire; Mais ce serment s'évanouit Avec les ombres de la nuit. L'Épouse, indiscrète et peu fine, Sort du lit quand le jour fut à peine levé; Et de courir chez sa voisine. « Ma commère, dit-elle, un cas est arrivé; N'en dites rien surtout, car vous me feriez battre : Mon mari vient de pondre un ouf gros comme quatre. Au nom de Dieu, gardez-vous bien D'aller publier ce mystère. - Vous moquez-vous? dit l'autre : ah! vous ne savez guère Quelle je suis. Allez, ne craignez rien. » La Femme du pondeur s'en retourne chez elle. L'autre grille déjà de conter la nouvelle; Elle va la répandre en plus de dix endroits; Au lieu d'un ouf, elle en dit trois. Ce n'est pas encor tout; car une autre commère En dit quatre, et raconte à l'oreille le fait : Précaution peu nécessaire, Car ne n'étoit plus un secret. Comme le nombre d'ceufs, grâce à la renommée, De bouche en bouche alloit croissant, Avant la fin de la journée Ils se montoient à plus d'un cent. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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