Jules Laforgue |
Je me suis souvent dit, voyant de quelle sorte L'homme agit, et qu'il se comporte, En mille occasions, comme les animaux : « Le Roi de ces gens-là n'a pas moins de défauts Que ses sujets, et la nature A mis dans chaque créature Quelque grain d'une masse où puisent les esprits; J'entends les esprits corps, et pétris de matière. » Je vais prouver ce que je dis. A l'heure de l'affût, soit lorsque la lumière Précipite ses traits dans l'humide séjour, Soit lorsque le soleil rentre dans sa carrière, El que, n'étant plus nuit, il n'est pas encor jour, Au bord de quelque bois sur un arbre je grimpe, Et, nouveau Jupiter, du haut de cet Olympe, Je foudroie, à discrétion. Un lapin qui n'y pensoit guère. Je vois fuir aussitôt toute la nation Des lapins, qui, sur la bruyère, L'oil éveillé, l'oreille au guet, S'égayoient, et de thym parfumoient leur banquet. Le bruit du coup fait que la bande S'en va chercher sa sûreté Dans la souterraine cité : Mais le danger s'oublie, et cette peur si grande S'évanouit bientôt; je revois les lapins, Plus gais qu'auparavant, revenir sous mes mains. Ne reconnoît-on pas en cela les humains? Dispersés par quelque orage, A peine ils touchent le port Qu'ils vont hasarder encor Même vent, même naufrage; Vrais lapins, on les revoit Sous les mains de la Fortune. Joignons à cet exemple une chose commune. Quand des chiens étrangers passent par quelque endroit, Qui n'est pas de leur détroit, Je laisse à penser quelle fête! Les chiens du lieu, n'ayants en tête Qu'un intérêt de gueule, à cris, à coups de dents, Vous accompagnent ces passants Jusqu'aux confins du territoire. Un intérêt de biens, de grandeur, et de gloire. Aux gouverneurs d'Etats, à certains courtisans, A gens de tous métiers, en fait tout autant faire. On nous voit tous, pour l'ordinaire. Piller le survenant, nous jeter sur sa peau. La coquette et l'auteur sont de ce caractère : Malheur à l'écrivain nouveau! Le moins de gens qu'on peut à l'entour du gâceau, C'est le droit du jeu, c'est l'affaire. Cent exemples pourroient appuyer mon discours; Mais les ouvrages les plus courts Sont toujours les meilleurs. En cela, j'ai pour guide Tous les maîtres de l'art, et tiens qu'il faut laisser Dans les plus beaux sujets quelque chose à penser : Ainsi ce discours doit cesser. Vous qui m'avez donné ce qu'il a de solide, Et dont la modestie égale la grandeur. Qui ne pûtes jamais écouter sans pudeur La louange la plus permise, La plus juste et la mieux acquise; Vous enfin, dont à peine ai-je encore obtenu Que votre nom reçût ici quelques hommages, Du temps et des censeurs défendant mes ouvrages. Comme un nom qui, des ans et des peuples connu, Fait honneur à la France, en grands noms plus féconde Qu'aucun climat de l'univers. Permettez-moi du moins d'apprendre à tout le monde Que vous m'avez donné le sujet de ces vers. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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