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Jules Laforgue



Les poissons et le cormoran - Fable


Fable / Poémes d'Jules Laforgue





Il n'étoit point d'étang dans tout le voisinage
Qu'un
Cormoran n'eût mis à contribution :
Viviers et réservoirs lui payoient pension.
Sa cuisine alloit bien : mais, lorsque le long âge

Eut glacé le pauvre animal,

La même cuisine alla mal.
Tout
Cormoran se sert de pourvoyeur lui-même.
Le nôtre, un peu trop vieux pour voir au fond des eaux.

N'ayant ni filets ni réseaux,

Souffroit une disette extrême.
Que fit-il?
Le besoin, docteur en stratagème.
Lui fournit celui-ci.
Sur le bord d'un étang

Cormoran vit une Écrevisse. «
Ma commère, dit-il, allez tout à l'instant

Porter un avis important

A ce peuple : il faut qu'il périsse;
Le maître de ce lieu dans huit jours péchera. »

L'Écrevisse en hâte s'en va

Conter le cas.
Grande est l'émeute;

On court, on s'assemble, on députe

A l'Oiseau :.«
Seigneur
Cormoran,
D'où vous vient cet avis?
Quel est votre garant?

Êtes-vous sûr de cette affaire?
N'y savez-vous remède?
Et qu'est-il bon de faire?



-
Changer de lieu, dit-il. -
Comment le ferons-nous?

-
N'en soyez point en soin : je vous porterai tous.

L'un après l'autre, en ma retraite.
Nul que
Dieu seul et moi n'en connoît les chemins :

Il n'est demeure plus secrète.
Un vivier que
Nature y creusa de ses mains,

Inconnu des traîtres humains,

Sauvera votre république. »

On le crut.
Le peuple aquatique

L'un après l'autre fut porté

Sous ce rocher peu fréquenté.

Là,
Cormoran, le bon apôtre,

Les ayant mis en un endroit

Transparent, peu creux, fort étroit.
Vous les prenoit sans peine, un jour l'un, un jour l'au-

(tre;

Il leur apprit à leurs dépens
Que l'on ne doit jamais avoir de confiance

En ceux qui sont mangeurs de gens.
Ils y perdirent peu, puisque l'humaine engeance
En auroit aussi bien croqué sa bonne part.

Qu'importe qui vous mange?
Homme ou loup, toute
Me paroît une à cet égard; [panse

Un jour plus tôt, un jour plus tard.
Ce n'est pas grande différence.

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Jules Laforgue
(1860 - 1887)
 
  Jules Laforgue - Portrait  
 
Portrait de Jules Laforgue

Biographie jules laforgue

«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè

Orientation bibliographique / Ouvres

L'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit

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