Jules Laforgue |
Il est au Mogol des follets Qui font office de valets. Tiennent la maison propre, ont soin de l'équipage Et quelquefois du jardinage. Si vous touchez à leur ouvrage, Vous gâtez tout. Un d'eux près du Gange autrefois Cultivoit le jardin d'un assez bon bourgeois. Il travailloit sans bruit, avoit beaucoup d'adresse, Aimoit le maître et la maîtresse, Et le jardin surtout. Dieu sait si les Zéphirs, Peuple ami du Démon, l'assistoient dans sa lâche! Le Follet, de sa part, travaillant sans relâche. Combloit ses hôtes de plaisirs. Pour plus de marques de son zèle, Chez ces gens pour toujours il se fût arrêté. Nonobstant la légèreté A ses pareils si naturelle; Mais ses confrères les Esprits Firent tant que le chef de cette république, Par caprice ou par politique. Le changea bientôt de logis. Ordre lui vient d'aller au fond de la Norvège Prendre le soin d'une maison En tout temps couverte de neige; Et d'Indou qu'il étoit on vous le fait Lapon. Avant que de partir, L'Esprit dit à ses hôtes : « On m'oblige de vous quitter : Je ne sais pas pour quelles fautes; Mais enfin il le faut. Je ne puis arrêter Qu'un temps fort court, un mois, peut-être une semaine : Employez-la; formez trois souhaits, car je puis Rendre trois souhaits accomplis, Trois sans plus. » Souhaiter, ce n'est pas une peine Étrange et nouvelle aux humains. Ceux-ci, pour premier vou, demandent l'abondance; Et l'abondance, à pleines mains, Verse en leurs coffres la finance. En leurs greniers le blé, dans leurs caves les vins : Tout en crève. Comment ranger cette chevance? Quels registres, quels soins, quel temps il leur fallut! Tous deux sont empêchés si jamais on le fut. Les voleurs contre eux complotèrent; Les grands seigneurs leur empruntèrent; Le Prince les taxa. Voilà les pauvres gens Malheureux par trop de fortune. « Otez-nous de ces biens l'affluence importune. Dirent-ils l'un et l'autre : heureux les indigents! La pauvreté vaut mieux qu'une telle richesse. Retirez-vous, trésors, fuyez; et toi, Déesse, Mère du bon esprit, compagne du repos, O Médiocrité, reviens vite. » A ces mots La Médiocrité revient; on lui fait place; Avec elle ils rentrent en grâce, Au bout de deux souhaits étant aussi chanceux Qu'ils étoient, et que sont tous ceux Qui souhaitent toujours et perdent en chimères Le temps qu'ils fcroicnt mieux de mettre à leurs aflaires Le Follet en rit avec eux. Pour profiter de sa largesse, Quand il voulut partir et qu'il fut sur le point. Ils demandèrent la sagesse : C'est un trésor qui n'embarrasse point. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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