Jules Laforgue |
Qui ne court après la Fortune? Je voudrois être en lieu d'où je pusse aisément Contempler la foule importune De ceux qui cherchent vainement Celte fille du Sort de royaume en royaume, Fidèles courtisans d'un volage fantôme. Quand ils sont près du bon moment. L'inconstante aussitôt à leurs désirs échappe : Pauvres gens! je les plains; car on a pour les fous Plus de pitié que de courroux. « Cet homme, diseni-ils, étoit planteur de choux. Et le voilà devenu pape : Ne le valons-nous pas? - Vous valez cent fois mieux; Mais que vous sert votre mérite? La Fortune a-t-elle des yeux? Et puis la papauté vaut-elle ce qu'on quitte, Le repos, le repos, trésor si précieux Qu'on en faisoit jadis le partage des Dieux? Rarement la Fortune à ses hôtes le laisse. Ne cherchez point cène déesse, Elle vous cherchera : son sexe en use ainsi. » Certain couple d'amis, en un bourg établi, Possédoit quelque bien. L'un soupiroit sans cesse Pour la Fortune; il dit à l'autre un jour : « Si nous quittions notre séjour? Vous savez que nul n'esi prophète En son pays : cherchons notre aventure ailleurs. - Cherche/, dit l'autre ami : pour moi je ne souhaite Ni climats ni destins meilleurs. Contentez-vous; suivez votre humeur inquiète : Vous reviendrez bientôt. Je fais vceu cependant De dormir en vous attendant. » L'ambitieux, ou, si l'on veut, l'avare. S'en va par voie et par chemin. Il arriva le lendemain En un lieu que devoit la déesse bizarre Fréquenter sur tout autre; et ce lieu, c'est la cour. Là donc pour quelque temps il fixe son séjour, Se trouvant au coucher, au lever, à ces heures Que l'on sait être les meilleures, Bref, se trouvant à tout, et n'arrivant à rien. « Qu'est ceci? ce dit-il, cherchons ailleurs du bien. La Fortune pourtant habite ces demeures; Je la vois tous les jours entrer chez celui-ci, Chez celui-là : d'où vient qu'aussi Je ne puis héberger cette capricieuse? On me l'avoit bien dit, que des gens de ce lieu L'on n'aime pas toujours l'humeur ambitieuse. Adieu, Messieurs de cour; Messieurs de cour, adieu Suivez jusques au bout une ombre qui vous flatte. La Fortune a, dit-on, des temples à Surate : Allons là. » Ce fut un de dire et s'embarquer. Ames de bronze, humains, celui-là fut sans doute Armé de diamant, qui tenta cette route. Et le premier osa l'abîme défier. Celui-ci, pendant son voyage. Tourna les yeux vers son village Plus d'une fois, essuyant les dangers Des pirates, des vents, du calme et des rochers, Ministres de la Mon : avec beaucoup de peines On s'en va la chercher en des rives lointaines, La trouvant assez tôt sans quitter la maison. L'homme arrive au Mogol : on lui dit qu'au Japon La Fortune pour lors distribuoit ses grâces. Il y court. Les mers étoient lasses De le porter; et tout le fruit Qu'il tira de ses longs voyages, Ce lut cette leçon que donnent les sauvages : « Demeure en ton pays, par la nature instruit. » Le Japon ne fut pas plus heureux à cet homme Que le Mogol l'avoit été : Ce qui lui fit conclure en somme Qu'il avoit à grand tort son village quitté. Il renonce aux courses ingrates, Revient en son pays, voit de loin ses pénates, Pleure de joie, et dit : « Heureux qui vit chez soi, De régler ses désirs faisant tout son emploi! Il ne sait que par ouïr dire Ce que c'est que la cour, la mer, et ton empire, Fortune, qui nous fais passer devant les yeux Des dignités, des biens, que jusqu'au bout du monde On suit, sans que l'effet aux promesses réponde. Désormais je ne bouge, et ferai cent lois mieux. » En raisonnant de cette sorte. Et contre la Fortune ayant pris ce conseil, Il la trouve assise à la porte De son ami, plongé dans un profond sommeil. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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