Jules Laforgue |
Un trafiquant sur mer, par bonheur, s'enrichit. Il triompha des vents pendant plus d'un voyage : Gouffre, banc, ni rocher, n'exigea de péage D'aucun de ses ballots; le Sort l'en affranchit. Sur tous ses compagnons Atropos et Neptune Recueillirent leur droit, tandis que la Fortune Prenoit soin d'amener son marchand à bon port. Facteurs, associés, chacun lui fut fidèle. Il vendit son tabac, son sucre, sa canèle, Ce qu'il voulut, sa porcelaine encor : Le luxe et la folie enflèrent son trésor; Bref, il plut dans son escarcelle. On ne parloit chez lui que par doubles ducats; Et mon homme d'avoir chiens, chevaux et carrosses : Ses jours de jeûne étoient des noces. Un sien ami, voyant ces somptueux repas, Lui dit : « Et d'où vient donc un si bon ordinaire? - Et d'où me viendroit-il que de mon savoir-faire? Je n'en dois rien qu'à moi, qu'à mes soins, qu'au talent De risquer à propos, et bien placer l'argent. » Le profit lui semblant une fort douce chose, II risqua de nouveau le gain qu'il avoit fait; Mais rien, pour cette fois, ne lui vint à souhait. Son imprudence en fut la cause .: Un vaisseau mal frété périt au premier vent; Un autre, mal pourvu des armes nécessaires, Fut enlevé par les corsaires; Un troisième au port arrivant. Rien n'eut cours ni débit : le luxe et la folie N'étoient plus tels qu'auparavant. Enfin ses facteurs le trompant. Et lui-même ayant fait grand fracas, chère lie, Mis beaucoup en plaisirs, en bâtiments beaucoup, Il devint pauvre tout d'un coup. Son ami, le voyant en mauvais équipage. Lui dit : « D'où vient cela? - De la Fortune, hélas! - Consolez-vous, dit l'autre; et s'il ne lui plaît pas Que vous soyez heureux, tout au moins soyez sage. » Je ne sais s'il crut ce conseil; Mais je sais que chacun impute, en cas pareil, Son bonheur à son industrie; Et si de quelque échec notre faute est suivie, . Nous disons injures au Sort. Chose n'est ici plus commune : Le bien, nous le faisons; le mal, c'est la Fortune; On a toujours raison, le Destin toujours tort. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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