Jules Laforgue |
Deux Compagnons, pressés d'argent, A leur voisin fourreur vendirent La peau d'un Ours encor vivant. Mais qu'ils tueroient bientôt, du moins à ce qu'ils dirent. C'étoit le roi des ours au compte de ces gens. Le marchand à sa peau devoit faire fortune; Elle garantirait des froids les plus cuisants : On en pourrait fourfer plutôt deux robes qu'une. Dindenaut prisoit moins ses moutons qu'eux leur Ours : Leur, à leur compte, et non à celui de la bête. S'offrant de la livrer au plus tard dans deux jours, Ils conviennent de prix, et se mettent en quête. Trouvent l'Ours qui s'avance et vient vers eux au trot. Voilà mes gens frappés comme d'un coup de foudre. Le marché ne tint pas; il fallut le résoudre : D'intérêts contre l'Ours, on n'en dit pas un mot. L'un des deux Compagnons grimpe au faîte d'un arbre; L'autre, plus froid que n'est un marbre, Se couche sur le ne/, fait le mort, tient son vent, Ayant quelque part ouï dire Que l'ours s'acharne peu souvent Sur un corps qui ne vit, ne meut, ni ne respire. Seigneur Ours, comme un sot, donna dans ce panneau : Il voit ce corps gisant, le croit privé de vie; Et de peur de supercherie, Le tourne, le retourne, approche son museau, Flaire aux passages de l'haleine. « C'est, dit-il, un cadavre; ôtons-nous, car il sent. » A ces mots, l'Ours s'en va dans la forêt prochaine. L'un de nos deux marchands de son arbre descend. Court à son compagnon, lui dit que c'est merveille Qu'il n'ait eu seulement que la peur pour tout mal. « Eh bien! ajouta-t-il, la peau de l'animal? Mais que t'a-t-il dit à l'oreille? Car il s'approchoit de bien près, Te retournant avec sa serre. - Il m'a dit qu'il ne faut jamais Vendre la peau de l'ours qu'on ne l'ait mis par terre. » |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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