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Jules Laforgue



Pierrots - Poéme


Poéme / Poémes d'Jules Laforgue





C'est, sur un cou qui, raide, émerge
D'une fraise empesée idem.
Une face imberbe au cold-cream.
Un air d'hydrocéphale asperge.



Les yeux sont noyés de l'opium
De l'indulgence universelle,
La bouche clownesque ensorcelé
Comme un singulier géranium.



Bouche qui va du trou sans bonde
Glacialement désopilé,
Au transcendental en-allé
Du souris vain de la
Joconde.



Campant leur cône enfariné
Sur le noir serre-tête en soie,
Ils font rire leur patte d'oie
Et froncent en trèfle leur nez.



Ils ont comme chaton de bague
Le scarabée égytien, À leur boutonnière fait bien
Le pissenlit des terrains vagues.



Ils vont, se sustentant d'azur,
Et parfois aussi de légumes,
De riz plus blanc que leur costume,
De mandarines et d'oeufs durs.

Ils sont de la secte du
Blême,
Ils n'ont rien à voir avec
Dieu,
Et sifflent : «
Tout est pour le mieux «
Dans la meilleur' des mi-carême ! »



II



Le cour blanc tatoué

De sentences lunaires.

Ils ont : «
Faut mourir, frères ! »

Pour mot-d'ordre-Evohé.

Quand trépasse une vierge.
Ils suivent son convoi,
Tenant leur cou tout droit
Comme on porte un beau cierge.

Rôle très-fatigant.
D'autant qu'ils n'ont personne
Chez eux, qui les frictionne
D'un conjugal onguent.

Ces dandys de la
Lune
S'imposent, en effet.
De chanter « s'il vous plaît ? »
De la blonde à la brune.

Car c'est des gens blasés ;
Et s'ils vous semblent dupes, Ça et là, de la
Jupe,
Lange à cicatriser,

Croyez qu'ils font la bêle
Afin d'avoir des seins,
Pis-aller de coussins
A leurs savantes têtes.

Ecarquillant le cou
Et feignant de comprendre
De travers, la voix tendre, mais les yeux si filous !

-
D'ailleurs, de mours très-fines.
Et toujours fort corrects, (Ecole des cromlechs
Et des tuyaux d'usines).



III



Comme ils vont molester, la nuit.
Au profond des parcs, les statues,
Mais n'offrant qu'aux moins dévêtues
Leur bras et tout ce qui s'ensuit.

En tête à tête avec la femme
Ils ont toujours l'air d'être un tiers,
Confondent demain avec hier,
Et demandent
Rien avec âme !



Jurent « je t'aime ! » l'air là-bas.
D'une voix sans timbre, en extase.
Et concluent aux plus folles phrases
Par des : «
Mon
Dieu, n'insistons pas ? »

Jusqu'à ce qu'ivre,
Elle s'oublie,
Prise d'on ne sait quel besoin
De lune ! dans leurs bras, fort loin
Des convenances établies.



IV



Maquillés d'abandon, les manches
En saule, ils leur font des serments.
Pour être vrais trop véhéments !
Puis, tumultuent en gigues blanches.

Beuglant :
Ange ! tu m'as compris, À la vie, à la mort ! - et songent :
Ah ! passer là-dessus l'éponge !...
Et c'est pas chez eux parti-pris,

Hélas ! mais l'idée de la femme
Se prenant au sérieux encor
Dans ce siècle, voilà, les tord
D'un rire aux déchirantes gammes !

Ne leur jetez pas la pierre, ô
Vous qu'affecte une jarretière !
Allez, ne jetez pas la pierre



V



Blancs enfants de chour de la
Lune,
Et lunologues éminents,
Leur
Eglise ouvre à tout venant,
Claire d'ailleurs comme pas une.

Ils disent, d'un oil faisandé,
Les manches très-sacerdotales,
Que ce bas-monde de scandale
N'est qu'un des mille coups de dé

Du jeu que l'Idée et l'Amour,
Afin sans doute de connaître
Aussi leur propre raison d'être,
Ont jugé bon de mettre au jour.

Que nul d'ailleurs ne vaut le nôtre,
Qu'il faut pas le traiter d'hôtel
Garni vers un plus immortel,
Car nous sommes faits l'un pour l'autre ;

Qu'enfin, et rien de moins subtil.
Ces gratuites antinomies
Au fond ne nous regardant mie.
L'art de tout est l'Ainsi soit-il ;

Et que, chers frères, le beau rôle
Est de vivre de but en blanc
Et, dût-on se battre les flancs.
De hausser à tout la épaules.

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Jules Laforgue
(1860 - 1887)
 
  Jules Laforgue - Portrait  
 
Portrait de Jules Laforgue

Biographie jules laforgue

«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè

Orientation bibliographique / Ouvres

L'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit

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