Jules Laforgue |
En voulant mettre un peu d'ordre dans ce tiroir Je me suis perdu par mes grands vingt ans, ce soir De Noël gras. Ah ! dérisoire créature ! Fleuve à reflets, où les deuils d'Unique ne durent Pas plus que d'autres ! L'ai-je rêvé, ce Noël Où je brûlais de pleurs noirs un mouchoir réel, Parce que, débordant des chagrins de la Terre Et des frères Soleils, et ne pouvant me faire Aux monstruosités sans but et sans témoin Du cher Tout, et bien las de me meurtrir les poings Aux steppes du cobalt sourd, ivre-mort de doute, Je vivotais, altéré de Nihil de toutes Les citernes de mon Amour ? Seul, pur, songeur, Me croyant hypertrophique ! comme un plongeur Aux mouvants bosquets des savanes sous-marines. J'avais roulé par les livres, bon misogyne. Cathédrale anonyme ! en ce Paris, jardin Obtus et chic, avec son bourgeois de Jourdain A rêveurs, ses vitraux fardés, ses vieux dimanches Dans les quartiers tannés où regardent des branches Par-dessus les murs des pensionnats, et ses Ciels trop poignants à qui l'Angélus fait : assez ! Paris qui, du plus bon bébé de la Nature, Instaure un lexicon mal cousu de ratures. Bon Breton né sous les Tropiques, chaque soir J'allais le long d'un quai bien nommé mon revoir, Et buvant les étoiles à même : « ô Mystère ! « Quel calme chez les astres ! ce train-train sur terre ! « Est-il Quelqu'un, vers quand, à travers l'infini, « Calmer l'universel lamasabaktani ? « Voyons ; les cercles du Cercle, en effets et causes, « Dans leurs incessants vortex de métamorphoses, « Sentent pourtant, abstrait, ou, ma foi, quelque part, « Battre un cour ! un cour simple ; ou veiller un Regard ! « Oh ! qu'il n'y ait personne et que Tout continue ! « Alors géhenne à fous, sans raison, sans issue ! « Et depuis les Toujours, et vers l'Eternité ! « Comment donc quelque chose a-t-il jamais été ? « Que Tout se cache seul au moins, pour qu'il se tue ! « Draguant les chantiers d'étoiles, qu'un Cri se rue, « Mort ! emballant en ses linceuls aux clapotis « Irrévocables ces sols d'impôts abrutis ! « Que l'Espace ait un bon haiit-le-cour et vomisse « Le Temps nul, et ce Vin aux geysers de justice ! « Lyres des nerfs, filles des Harpes d'Idéal « Qui vibriez, aux soirs d'exil, sans songer à mal, « Redevenez plasma ! Ni Témoin, ni spectacle ! « Chut, ultime vibration de la Débâcle, « Et que Jamais soit Tout, bien intrinsèquement, « Très hermétiquement, primordialement ! » Ah ! - Le long des calvaires de la Conscience, La Passion des mondes studieux t'encense. Aux Orgues des Résignalions, Idéal, Ô Galathée aux pommiers de l'Eden-Natal ! Martyres, croix de l'Art, formules, fugues douces, Babels d'or où le vent soigne de bonnes mousses ; Mondes vivotant, vaguement étiquetés De livres, sous la céleste Eternullité : Vanité, vanité, vous dis-je ! - oh ! moi, j'existe. Mais où sont, maintenant, les nerfs de ce Psalmiste ? Minuit un quart ; quels bords te voient passer, aux nuits Anonymes, ô Nébuleuse-Mère ? Et puis. Qu'il doit agoniser d'étoiles éprouvées, À cette heure où Christ naît, sans feu pour leurs couvées, Mais clamant : ô mon Dieu ! tant que, vers leur ciel mort. Une flèche de cathédrale pointe encor Des polaires surplis ! - Ces Terres se sont tues. Et la création fonctionne têtue ! Sans issue, elle est Tout ; et nulle autre, elle est Tout X en soi ? Soif à trucs ! Songe d'une nuit d'août ? Sans le mot, nous serons revannés, ô ma Terre ! Puis tes sours. Et nunc et semper. Amen . Se taire. Je veux parler au Temps ! criais-je. Oh ! quelque engrais Anonyme ! Moi ! mon Sacré-Cour ! - J'espérais Qu'à ma mort, tout frémirait, du cèdre à l'hysope ; Que ce Temps, déraillant, tomberait en syncope, Que, pour venir jeter sur mes lèvres des fleurs. Les Soleils très navrés détraqueraient leurs chours ; Qu'un soir, du moins, mon Cri me jaillissant des moelles. On verrait, mon Dieu, des signaux dans les étoiles ? Puis, fou devant ce ciel qui toujours nous bouda. Je rêvais de prêcher la fin, nom d'un Bouddha ! Oh ! pâle mutilé, d'un : qui m'aime me suive ! Faisant de leurs cités une unique Ninive, Mener ces chers bourgeois, fouettés d'alléluias. Au Saint-Sépulcre maternel du Nirvana ! Maintenant, je m'en lave les mains (concurrence Vitale, l'argent, l'art, puis les lois de la France...) Vennis sum, pulvis es ! où sont mes nerfs d'hier ? Mes muscles de demain ? Et le terreau si fier De Mon âme, où donc était-il, flya mille Siècles ! et comme, incessamment, il file, file !... Anonyme ! et pour Quoi ? - Pardon, Quelconque Loi ! L'être est forme, Brahma seul est Tout-Un en soi. Ô Robe aux cannelures à jamais doriques Où grimpent les Passions des grappes cosmiques ; Ô Robe de Maïa, ô Jupe de Maman, Je baise vos ourlets tombals éperdument ! Je sais ! la vie outrecuidante est une trêve D'un jour au Bon Repos qui pas plus ne s'achève Qu'il n'a commencé. Moi, ma trêve, confiant. Je la veux cuver au sein de l'iNCONSClENT. Dernière crise. Deux semaines errabundes, En tout, sans que mon Ange Gardien me réponde. Dilemme à deux sentiers vers l'Eden des Elus : Me laisser éponger mon Moi par l'Absolu ? Ou bien, élixirer l'Absolu en moi-même ? C'est passé. J'aime tout, aimant mieux que Tout m'aime. Donc je m'en vais flottant aux orgues sous-manns. Par les coraux, les oufs, les bras verts, les écrins, Dans la tourbillonnante étemelle agonie D'un Nirvana des Danaïdes du génie ! Lacs de syncopes esthétiques ! Tunnels d'or ! Pastel défunt ! fondant sur une langue ! Mort Mourante ivre-morte ! Et la conscience unique Que c'est dans la Sainte Piscine ésotérique D'un lucus à huit-clos, sans pape et sans laquais, Que J'ouvre ainsi mes riches veines à Jamais? En attendant la mort mortelle, sans mystère, Lors quoi l'usage veut qu'on nous cache sous terre. Maintenant, tu n'as pas cru devoir rester coi ; Eh bien, un cri humain ! s'il en reste un pour toi. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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