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Jules Laforgue



Simonide préservé par les dieux - Fable


Fable / Poémes d'Jules Laforgue





On ne peut trop louer trois sortes de personnes

Les
Dieux, sa maîtresse, et son roi.
Malherbe le disoit; j'y souscris, quant à moi :

Ce sont maximes toujours bonnes.
La louange chatouille et gagne les esprits :
Les faveurs d'une belle en sont souvent le prix.
Voyons comme les
Dieux l'ont quelquefois payée.

Simonide avoit entrepris
L'éloge d'un
Athlète; et la chose essayée,
Il trouva son sujet plein de récits tout nus.
Les parents de l'Athlète étoient gens inconnus;
Son père, un bon bourgeois; lui, sans autre mérite;

Matière infertile et pedte.
Le poète d'abord parla de son héros.
Après en avoir dit ce qu'il en pouvoit dire.
Il se jette à côté, se met sur le propos
De
Castor et
Pollux; ne manque pas d'écrire
Que leur exemple étoit aux lutteurs glorieux; Élève leurs combats, spécifiant les lieux
Où ces frères s'étoient signalés davantage :

Enfin l'éloge de ces
Dieux

Faisoit les deux tiers de l'ouvrage.
L'Athlète avoit promis d'en payer un talent;

Mais quand il le vit, le galand
N'en donna que le tiers; et dit fort franchement
Que
Castor et
Pollux acquittassent le reste. «
Faites-vous contenter par ce couple céleste.

Je vous veux traiter cependant :
Venez souper chez moi; nous ferons bonne vie :

Les conviés sont gens choisis,

Mes parents, mes meilleurs amis;

Soyez donc de la compagnie. »
Simonide promit.
Peut-être qu'il eut peur
De perdre, outre son dû, le gré de sa louange.

Il vient : l'on festine, l'on mange.

Chacun étant en belle humeur.
Un domestique accourt, l'avertit qu'à la porte
Deux hommes demandoient à le voir promptement



Il sort de table; et la cohorte

N'en perd pas un seul coup de dent.
Ces deux hommes étoient les gémeaux de l'éloge.
Tous deux lui rendent grâce; et pour prix de ses vers,

Ils l'avertissent qu'il déloge,
Et que cette maison va tomber à l'envers.

La prédiction en fut vraie.

Un pilier manque; et le plafonds,

Ne trouvant plus rien qui l'étaie.
Tombe sur le festin, brise plats et flacons,

N'en fait pas moins aux échansons.
Ce ne fut pas le pis; car pour rendre complète

La vengeance due au poète.
Une poutre cassa les jambes à l'Athlète,

Et renvoya les conviés

Pour la plupart estropiés.
La
Renommée eut soin de publier l'affaire :
Chacun cria miracle.
On doubla le salaire
Que méritoient les vers d'un homme aimé des
Dieux.

Il n'étoit fils de bonne mère

Qui, les payant à qui mieux mieux,

Pour ses ancêtres n'en fît faire.

Je reviens à mon texte, et dis premièrement

Qu'on ne sauroit manquer de louer largement

Les
Dieux et leurs pareils; de plus, que
Melpomène

Souvent, sans déroger, trafique de sa peine;

Enfin qu'on doit tenir notre art en quelque prix.

Les grands se font honneur dès lors qu'ils nous font

Jadis l'Olympe et le
Parnasse [grâce;

Étoient frères et bons amis.

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Jules Laforgue
(1860 - 1887)
 
  Jules Laforgue - Portrait  
 
Portrait de Jules Laforgue

Biographie jules laforgue

«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè

Orientation bibliographique / Ouvres

L'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit

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