Jules Laforgue |
Vous ne m'aimeriez pas, voyons. Vous ne m'aimeriez pas plus. Pas plus, entre nous, Qu'une fraternelle Occasion ?... - Ah ! elle ne m'aime pas ! Ah ! elle ne ferait pas le premier pas Pour que nous tombions ensemble à genoux ! Si elle avait rencontré seulement A, B, C, ou D, au lieu de Moi, Elle les eût aimés uniquement ! Je les vois, je les vois... Attendez ! Je la vois, Avec les nobles A, B, C ou D. Elle était née pour chacun d'eux. C'est lui. Lui, quel qu'il soit. Elle le reflète ; D'un air parfait, elle secoue la tête Et dit que rien, rien ne peut lui déraciner Celle étonnante destinée. C'est Lui ; elle lui dit : « Oh, tes yeux, ta démarche ! « Oh, le son fatal de ta voix ! « Voilà si longtemps que je te cherche ! « Oh, c'est bien Toi, cette fois !... » Il baisse un peu sa bonne lampe, Il la ploie. Elle, vers son cour. Il la baise à la tempe Et à la place de son orphelin cour. Il l'endort avec des caresses tristes, Il l'apitoie avec de petites plaintes, Il a des considérations fatalistes. Il prend à témoin tout ce qui existe, Et puis, voici que l'heure tinte. Pendant que je suis dehors À errer avec elle au cour, À m'étonner peut-être De l'obscurité de sa fenêtre. Elle est chez lui, et s'y sent chez elle, Et comme on vient de le voir, Elle l'aime, éperdûment fidèle. Dans toute sa beauté des soirs !... Je les ai vus ! Oh, ce fut trop complet ! Elle avait l'air trop fidèle Avec ses grands yeux tout en reflets Dans sa figure toute nouvelle ! Et je ne serais qu'un pis-aller. Et je ne serais qu'un pis-aller, Comme l'est mon jour dans le Temps, Comme l'est ma place dans l'Espace ; Et l'on ne voudrait pas que j'accommodasse De ce sort vraiment dégoûtant !... Non, non ! pour Elle, tout ou rien ! Et je m'en irai donc comme un fou, À travers l'automne qui vient. Dans le grand vent où il y a tout ! Je me dirai : Oh ! à cette heure, Elle est bien loin, elle pleure. Le grand vent se lamente aussi, Et moi je suis seul dans ma demeure, Avec mon noble cour tout transi, Et sans amour et sans personne. Car tout est misère, tout est automne, Tout est endurci et sans merci. Et, si je t'avais aimée ainsi. Tu l'aurais trouvée trop bien bonne ! Merci ! |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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