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Jules Laforgue



Testament expliqué par esope - Fable


Fable / Poémes d'Jules Laforgue





Si ce qu'on dit d'Esope est vrai,

C'étoit l'oracle de la
Grèce :

Lui seul avoit plus de sagesse
Que tout l'Aréopage.
En voici pour essai

Une histoire des plus gentilles,

Et qui pourra plaire au lecteur.

Un certain homme avoit trois filles,

Toutes trois de contraire humeur :

Une buveuse, une coquette;

La troisième, avare parfaite.

Cet homme, par son testament,

Selon les lois municipales,
Leur laissa tout son bien par portions égales,

En donnant à leur mère tant,

Payable quand chacune d'elles
Ne posséderoit plus sa contingente part.

Le père mort, les trois femelles
Courent au testament, sans attendre plus tard.

On le lit, on tâche d'entendre

La volonté du testateur;

Mais en vain; car comment comprendre

Qu'aussitôt que chacune soeur
Ne possédera plus sa part héréditaire,

11 lui faudra payer sa mère?

Ce n'est pas un fort bon moyen

Pour payer, que d'être sans bien.

Que vouloit donc dire le père?
L'affaire est consultée; et tous les avocats,

Après avoir tourné le cas

En cent et cent mille manières,
Y jettent leur bonnet, se confessent vaincus,



Et conseillent aux héritières
De partager le bien sans songer au surplus.

«
Quant à la somme de la veuve,
Voici, leur dirent-ils, ce que le conseil treuve :
Il faut que chaque sour se charge par traité

Du tiers, payable à volonté,
Si mieux n'aime la mère en créer une rente,

Dès le décès du mort courante. »
La chose ainsi réglée, on composa trois lots :

En l'un, les maisons de bouteille,

Les buffets dressés sous la treille,
La vaisselle d'argent, les cuvettes, les brocs,

Les magasins de malvoisie,
Les esclaves de bouche, et pour dire en deux mots,

L'attirail de la goinfrerie;
Dans un autre, celui de la coquetterie,
La maison de la ville, et les meubles exquis,

Les eunuques et les coiffeuses,
Et les brodeuses.

Les joyaux, les robes de prix;
Dans le troisième lot, les fermes, le ménage,

Les troupeaux et le pâturage,

Valets et bêtes de labeur.
Ces lots faits, on jugea que le sort pourroit faire

Que peut-être pas une sour

N'auroit ce qui lui pourroit plaire.
Ainsi chacune prit son inclination,

Le tout à l'estimation.

Ce fut dans la ville d'Athènes

Que cette rencontre arriva.

Petits et grands, tout approuva
Le partage et le choix : Ésope seul trouva

Qu'après bien du temps et des peines

Les gens avoient pris justement

Le contre-pied du testament. «
Si le défunt vivoit, disoit-il, que l'Attique



Auroit de reproches de lui!

Comment? ce peuple, qui se pique
D'être le plus subtil des peuples d'aujourd'hui,
A si mal entendu la volonté suprême
D'un testateur? »
Ayant ainsi parlé,

Il fait le partage lui-même,
Et donne à chaque sour un lot contre son gré;

Rien qui pût être convenable,

Partant rien aux sours d'agréable :

A la coquette, l'attirail

Qui suit les personnes buveuses;

La biberonne eut le bétail;

La ménagère eut les coiffeuses

Tel fut l'avis du
Phrygien,

Alléguant qu'il n'étoit moyen

Plus sûr pour obliger ces filles

A se défaire de leur bien;
Qu'elles se marieroient dans les bonnes familles

Quand on leur verroit de l'argent;

Paieroient leur mère tout comptant;
Ne posséderoient plus les effets de leur père :

Ce que disoit le testament.
Le peuple s'étonna comme il se pouvoit faire

Qu'un homme seul eût plus de sens

Qu'une multitude de gens.

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Jules Laforgue
(1860 - 1887)
 
  Jules Laforgue - Portrait  
 
Portrait de Jules Laforgue

Biographie jules laforgue

«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè

Orientation bibliographique / Ouvres

L'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit

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