Jules Laforgue |
Une fable avoit cours parmi l'antiquité. Et la raison ne m'en est pas connue. Que le lecteur en tire une moralité; Voici la fable toute nue : La Renommée ayant dit en cent lieux Qu'un fils de Jupiter, un certain Alexandre, Ne voulant rien laisser de libre sous les deux, Commandoit que, sans plus attendre, Tout peuple à 3es pieds s'allât rendre, Quadrupèdes, humains, éléphants, vermisseaux, Les républiques des oiseaux; La Déesse aux cent bouches, dis-je, Ayant mis partout la terreur En publiant l'édit du nouvel empereur. Les Animaux, et toute espèce lige De son seul appétit, crurent que cette fois Il falloit subir d'autres lois. On s'assemble au désert : tous quittent leur tanière. Après divers avis, on résout, on conclut D'envoyer hommage et tribut. Pour l'hommage et pour la manière, Le Singe en fut chargé : l'on lui mit par écrit Ce que l'on vouloit qui fût dit. Le seul tribut les tint en peine : Car que donner? il falloit de l'argent. On en prit d'un prince obligeant. Qui possédant dans son domaine Des mines d'or, fournit ce qu'on voulut. Comme il fut question de porter ce tribut, Le Mulet et l'Ane s'offrirent, Assistés du Cheval ainsi que du Chameau. Tous quatre en chemin ils se mirent. Avec le Singe, ambassadeur nouveau. La caravane enfin rencontre en un passage Monseigneur le Lion : cela ne leur plut point. « Nous nous rencontrons tout à point. Dit-il; et nous voici compagnons de voyage. J'allois offrir mon fait à part; Mais bien qu'il soit léger, tout fardeau m'embarrasse. Obligez-moi de me faire la grâce Que d'en porter chacun un quart : Ce ne vous sera pas une charge trop grande, Et j'en serai plus libre et bien plus en état. En cas que les voleurs attaquent notre bande, Et que l'on en vienne au combat. » Éconduire un Lion rarement se pratique. Le voilà donc admis, soulagé, bien reçu, Et malgré le héros de Jupiter issu, Faisant chère et vivant sur la bourse publique. Ils arrivèrent dans un pré Tout bordé de ruisseaux, de fleurs tout diapré, Où maint mouton cherchoit sa vie : Séjour du frais, véritable patrie Des Zéphirs. Le Lion n'y fut pas, qu'à ces gens Il se plaignit d'être malade. « Continuez votre ambassade,. Dit-il; je sens un feu qui me brûle au dedans. Et veux chercher ici quelque herbe salutaire. Pour vous, ne perdez point de temps : Rendez-moi mon argent; j'en puis avoir affaire. » On déballe; et d'abord le Lion s'écria. D'un ton qui témoignoit sa joie : a Que de filles, ô Dieux, mes pièces de monnoie Ont produites! Voyez : la plupart sont déjà Aussi grandes que leurs mères. Le croît m'en appartient. » Il prit tout là-dessus; Ou bien s'il ne prit tout, il n'en demeura guères. Le Singe et les Sommiers confus, Sans oser répliquer, en chemin se remirent. Au fils de Jupiter on dit qu'ils se plaignirent, Et n'en eurent point de raison. Qu'eût-il fait? C'eût été lion contre lion; Et le proverbe dit : « Corsaires à corsaires. L'un l'autre s'attaquant, ne font pas leurs affaires. » |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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