Jules Laforgue |
Pendant qu'un philosophe assure Que toujours par leurs sens les hommes sont dupés, Un autre philosophe jure Qu'ils ne nous ont jamais trompés. Tous les deux ont raison; et la philosophie Dit vrai quand elle dit que lès sens tromperont Tant que sur leur rapport les hommes jugeront; Mais aussi, si l'on rectifie L'image de l'objet sur son éloignement, Sur le milieu qui l'environne. Sur l'organe et sur l'instrument, Les sens ne tromperont personne. La Nature ordonna ces choses sagement : J'en dirai quelque jour les raisons amplement. J'aperçois le soleil : quelle en est la figure? Ici-bas ce grand corps n'a que trois pieds de tour; Mais si je le voyois là-haut dans son séjour, Que seroit-ce à mes yeux que l'oil de la Nature? Sa distance me fait juger de sa grandeur; Sur l'angle et les côtés ma main la détermine. L'ignorant le croit plat : j'épaissis sa rondeur; Je le rends immobile, et la terre chemine. Bref, je démens mes yeux en toute sa machine : Ce sens ne me nuit point par son illusion. Mon âme, en toute occasion. Développe le vrai caché sous l'apparence; Je ne suis point d'intelligence Avecquè mes regards, peut-être un peu trop prompts, Ni mon oreille, lente à m'apporter les sons. Quand l'eau courbe un bàion, ma raison le redresse : La raison décide en maîtresse. Mes yeux, moyennant ce secours, Ne me trompent jamais, en me mentant toujours. Si je crois leur rapport, erreur assez commune, Une tête de femme est au corps de la lune. Y peut-elle être? Non. D'où vient donc cet objet? Quelques lieux inégaux font de loin cet effet. Montueusc en des lieux, en d'autres aplanie. L'ombre avec la lumière y peui tracer souvent Un homme, un bouf, un éléphant. Naguère l'Angleterre 'y vit chose pareille. La lunette placée, un animal nouveau Parut dans cet astre si beau; Et chacun de crier merveille. Il étoit arrivé là-haut un changement Qui présageoit sans doute un grand événement. Savoit-on si la guerre entre tant de puissances N'en étoit point l'effet? Le Monarque accourut : Il favorise en roi ces hautes connoissances. Le monstre dans la lune à son tour lui parut C'étoit une souris cachée enire les verres : Dans la lunette étoit la source de ces guerres. On en rit. Peuple heureux! quand pourront les François Se donner, comme vous, entiers à ces emplois? Mars nous fait recueillir d'amples moissons de gloire : C'est à nos ennemis de craindre les combats, A nous de les chercher, certains que la Victoire, Amante de Louis, suivra partout ses pas. Ses lauriers nous rendront célèbres dans l'histoire. Même les Filles de Mémoire Ne nous ont point quittés; nous goûtons des plaisirs : La paix fait nos souhaits et non point nos soupirs. Charles en sait jouir : il sauroit dans la guerre Signaler sa valeur, et mener l'Angleterre A ces jeux qu'en repos elle voit aujourd'hui. Cependant, s'il pouvoit apaiser la querelle. Que d'encens! est-il rien de plus digne de lui? La carrière d'Auguste a-t-elle été moins belle Que les fameux exploits du premier des Césars? O peuple trop heureux! quand la paix viendra-t-elle Nous rendre, comme vous, tout entiers aux beaux-arts? |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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