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Lorand Gaspar

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Approche de la parole


Poésie / Poémes d'Lorand Gaspar





La langue de poésie ne se laisse enfermer en aucune catégorie, ne se peut résumer à aucune fonction ou formule. Ni instrument, ni ornement, elle scrute une parole qui charrie les âges et l'espace fuyant, fondatrice de pierre et d'histoire, lieu d'accueil de leur poussière. Elle se meut à même l'énergie qui fait les empires et les perd. Elle est cette arrière-cour délabrée, envahie d'herbes, les murs couverts de lichens, où s'attarde un instant la lumière du soir.

On ne justifie pas la poésie et elle se passe de défenseurs ; j'essaie seulement de voir ce qui en moi instruit par la précision, va d'une façon si inaltérable vers le tâtonnement nocturne, à la recherche d'une autre, d'une plus rocheuse précision. Comprendre et ne pas comprendre, buter, briser, se perdre, comprendre encore. Je veux assumer toutes les contradictions, les excéder. Car tout en moi sait que je parle toujours la même langue (celle qui me « parle », me fait en parlant, en s'exprimanT) à des niveaux différents. Et il ne s'agit pas de degrés d'élévation plus ou moins parfaits, plus ou moins évolués ; ce qui les désigne c'est un mouvement, une organisation propres, un rapport à l'humain et au monde. L'abrupt d'une évidence sans nom et les patients travaux d'approche d'un fragment.



Je ne vois pas d'interruption entre le langage (ou l'expressioN) qu'est la matière diversement animée, le discours de l'homme et celui de la société. Niveaux d'émergence, de composition, de vitalité et d'assèchement, de maladie peut-être, d'une même parole qui se manifeste en signes discontinus, pris dans le jeu d'une formidable com-binatoire, jeu dont elle est en même temps la matière, les règles et l'énergie, le texte, la syntaxe et l'écriture.

Ce que cherche ma parole sans cesse interrompue, sans cesse insuffisante, inadéquate, hors d'haleine, n'est pas la pertinence d'une démonstration, d'une loi, mais la dénu-dation d'une lueur imprenable, transfixiante, d'une fluidité tour à tour bénéfique et ravageante. Une respiration.

Classer, isoler, fixer ; ces exercices menés à leur somnolente utilité, nous voici mûrs pour l'insomnie de la genèse.

Tous ces chemins que j'emprunte débouchent sur quelque impossible où seul l'exercice vertical de la parole maintient le mouvement : menace, bonheur et perte. Et nulle part de terme qui résoudrait, qui rassurerait Rien que ce mal étroit, rien que ce large qui excède. On ne peut clôturer la poésie: son lieu central s'effondre en lui-même, en une compacité qui se consume, qui se troue. Silence infondé où, contre toute preuve, s'avance encore une fois la parole fragile, la parole scandaleuse, la parole écrasante, la parole inutile.



Le poème n'est pas une réponse à une interrogation de l'homme ou du monde. Il ne fait que creuser, aggraver le questionnement. Le moment le plus exigeant de la poésie est peut-être celui où le mouvement de la question est tel - par sa radicalité, sa nudité, sa progression irréfragable - qu'aucune réponse n'est attendue ; plutôt, toutes révèlent leur silence. La brèche ouverte par ce geste efface les-formulations. Les valeurs séparées, dûment cataloguées, qui créent le va-et-vient entre rives opposées sont, pour un instant de lucidité, prises dans l'élan du fleuve. De cette parole qui renvoie à ce qui brûle, la bouche perdue à jamais.

Nos sens et notre pensée s'encombrent sans cesse de reflets, perdent cette fluidité vivace que nous appelons âme parfois. Mais quelqu'un s'arrête près d'un mur de boue délabré, près d'une pierre où manquent les mots. Il palpe le grain d'une lumière sécrétée, écrue. U touche à un grésillement poreux, à l'étoffe rêche de la voix. Parcourant les strates, il ouvre à même le mouvement et le souffle de la langue. Architecte du code, il modèle la matière des signes à leur naissance. Reprenant sans cesse les veines d'un ordre à leur bouche d'énergie, il les conduit à un sens qui se perd. Ce chercheur inassouvi, cet éternel inadéquat, ce contempteur d'impossible est avant tout un ouvrier de la langue, un ouvrier qui désespère et qui rit. Allant aux fibres du tissage, aux sources de la chimie, il veut d'abord essuyer tendrement la buée, buée des buées, regarder par cette trouée maladroite la lente migration du paysage.



La poésie est capable de conduire parfois (à l'instar des métaux bons conducteurS) un tressaillement de la parole en communiquant aux mots sa fluidité, son pouvoir corrodant sans mémoire. Ainsi le mot - l'image -, de simple élément chimique qui participe à la constitution d'un corps composé (un sèmE), se transforme en un enzyme Pouvant opérer la synthèse ou la lyse, la création inattendue de composés nouveaux, qui lèvent, en ce qui les brûle, des flammes différentes.

Ce lieu de haute énergie, où s'ordonnent des mots, que nous appelons poésie est notre part de l'acte infini dans le monde, champ de force des lois de notre mouvement propre, où se composent et se défont nos constellations.

Voici une molécule qui provoque la saturation nécessaire à la formation d'un cristal, un enzyme qui déclenche telle construction, ou « reconnaît » des éléments qui sans lui n'avaient pas de signification, du moins pas la même.

Et voici cette brèche ouverte par un son, un rapport de mots, une liaison d'images, qui permet de voir là où on ne faisait que regarder. De respirer là où on ne faisait que discourir.

Celui qui est capable de mettre en ouvre les lueurs qui peuvent naître de telles articulations ou de telles défaites dans les constellations de la parole, qui sait les forger, les provoquer, celui-là, comment ne le reconnaîtrions-nous pas ? En l'écoutant, une fois peut-être, sans frontière nous entendrons.

S'articuler, s'intégrer, se fondre, en tenant ferme le fil de ce mouvement singulier. L'onde pleine du tissage enveloppe les rêves inquiets des rochers, la frayeur des fonds. Capillaires d'une fraîcheur de naissance oubliée ; légèreté du sol sous le pas inespéré d'une guérison. Vastes steppes et leurs hautes herbes amples qui bercent le glissement des fauves, sang et espace d'une même mélodie ; amants qui savez presque sans traces aller.



Ne cherche pas l'absolu. Il est en toi comme un ravin de sécheresse qui te perdra. Toute parole qui retourne la terre porte sa soif. Amour et doute. Herbe amère et fruit, le pouls accordé et défait



Le texte poétique est le texte de la vie, travaillé par le rythme des éléments, construit, érodé par tout ce qui est ; fragmentaire, plein de lacunes, laissant apparaître dans les failles des signes plus anciens. Trame d'ardeur et de circulation : chacun peut y lire autre chose et aussi la même chose.

Ce que nous appelons pompeusement activité créatrice n'est au fond qu'une faculté de combinaison, de constitution d'ensembles nouveaux à partir d'éléments existants. Ce qui par moments réellement se révèle, c'est une qualité, une saveur, une cohérence et un effritement propres à ce composé nouveau. Mais peut-on, pour étancher cette soif de composer des corps nouveaux, assembler n'importe quoi à n'importe quoi ? Il y a de tout dans la nature. Les uns tirent leur bonheur (ou leur « vérité ») des bizarreries du rêve, des chimères de l'imagination, d'autres sont à jamais fascinés par la vie qui bouge, respire et fait commerce (mais c'est elle qui produit aussi les rêves et les chimèreS), se déploie ici, là se désagrège. D'autres encore cherchent à nommer, à montrer par ces mots qui sont matière si friable, ce qui depuis toujours invente le mouvement

Le paradoxe central, la clef absente d'une certaine poésie d'aujourd'hui est qu'elle tente de faire effraction dans un domaine où la logique de la langue tourne court. La physique moderne a dû admettre une semblable faillite du langage conceptuel ordinaire lorsqu'il s'agissait de dire, par exemple, comment un atome s'y prenait pour émettre ou absorber de la lumière.

Il se peut que l'eau claire d'une langue entre les mots d'un poème nous renvoie aux origines de toute langue et de tout langage, domaine augurai qui nous requiert comme un malaise inexpliqué.



Il y a une veine d'énergie qui est langue, qui chemine continue depuis les dispersions cosmiques et plissements géologiques aux tissages de la vie, aux mouvements les plus abrupts de l'imagination et du chant. Lorsque la voix s'y découvre, mouvement inséparable, c'est comme si elle reconnaissait un visage, une modulation, un rapport fondamental proposés par le monde ; comme si notre langue charriait toutes nos architectures de pierres et de vents, soudain du présent plongeait aux âges sans mémoire, reconnaissait son acte inconnu. Se reconnaissait.

Au seuil de ce jour indécis : le poète avec son maigre paquet. Mis à nu en ce désert. Et nu à crier et désert à en perdre le sens. Qui l'entendra dans l'atelier des poussières inusables ? Ici même, dans l'affairement louable, qui percevra son creusement silencieux ? Quelle place escompter, avides que nous sommes d'éclairages au-dehors, pour une lampe qui seulement respire ? Cet homme n'a rien à proposer qui transmue l'excrément en or, qui transfigure la misère du dehors en monnaie de salut Rien. Quelques mots en une rude langue étrangère qu'il entend comme une langue natale.

Mais quel poète a jamais douté que la parole fût fleuve dans le fleuve et souffle dans le souffle ?

Pousser la démarche poétique en ses derniers retranchements, la précipiter par-dessus le dernier mur de mots qui rompent la foulée de l'annonciateur. Là où le discours, trop timidement, se penche sur un abîme de parole.

Ecrire un poème qui ne serait pas un relevé de traces, traduction ou mise en forme, décruage des différentes couches du vécu, de ses arborisations prodigieusement entremêlées - écriture d'une lecture à un autre niveau -, mais croissance et mouvement simples, issus de nul centre et de nul commencement, ses branches, ses feuilles, ses fruits n'étant pas là pour renvoyer à autre chose, pour symboliser, mais pour conduire la sève et la vivacité de l'air, être leur bourdonnement et leur activité, nourriture et ensemencement. Et la lecture ne serait plus déchiffrement d'un code, réception d'un message ; il ne s'agirait plus de lire de son poste d'observation prudemment extérieur, mais de se couler dans le cheminement imprévisible qui est, d'un même geste, le mouvement et ses lois, la différence et l'identité, la forme qui se construit et se défait. Lire et écrire : accueillir, aller avec, creuser, respirer, jaillir.



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Lorand Gaspar
(1925 - ?)
 
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Portrait de Lorand Gaspar

Principaux ouvrages publiÉs

Né en confluent de plusieurs cultures, dans une famille hongroise de Transylvanie orientale, Lorand Gaspar est d'abord admis en 1943 à l'école polytechnique de Bucarest lorsqu'il est mobilisé, puis déporté dans un camp de travail. Il s'en évade en 1945 et se réfugie en France où il poursuit des études de médecine. Devenu chirurgien des hôpitaux français, il exerce durant seize ans à Jérusalem et à

Biographie


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