Maurice Chappaz |
O mon aimée je rougis d'être malade d'amour. Une goutte de pluie sur mon visage ferait jaillir le sang ! Où es-tu ma préférée ? Il est vilain le cour aux joues le cour à nu. Que cette rougeur qui vient de moi te guide dans les ténèbres. La honte est comme l'aurore d'une autre vie. II Mufles et ombres Lui et elle frissonnent comme des branches qui s'entr'aiment. Vous, mes amis, passez votre chemin. Ne me regardez pas. Quelles rues ! quelle vie ! Les baisers sont noirs. Les passants me reniflent et cherchent des truffes dans le cour. III Une fleur de jasmin disait à une rose : Si Dieu t'apprend à ne pas aimer les hommes apprends-moi à ne pas aimer les femmes, je marierai ma poésie à ta prière. IV Ne vous étonnez pas si elle me fait manger un pain blanc pour un pain noir. La nuit blanchit et le jour rougit quand je l'aime. V Comment faut-il aimer sa Dame ? Comme un seigneur quant à la générosité, comme un serviteur quant à la foi. Ainsi il y a une mystérieuse égalité. VI Rouge, muet. Mon fils, aime et coupe-toi la langue. VII Humer simplement une rose ou dévaster le jardin parce que la brise a ouvert la porte ? Je me suis assis devant la maison de ma bien-aimée. L'angoisse scelle mes lèvres et fait parler mon cour en silence. VIII Mon désir d'elle la fait ressembler à une carafe d'eau glacée qui circule en plein midi à la terrasse d'un café. Mon désir d'elle la pose sur la table telle une cathédrale claire et fragile, le litre et le verre. Mais mes lèvres balbutient de soif et cette transparence est pour mon esprit une nuit au milieu du jour. IX Le soleil est fou de la fraîcheur des carafes. Elles s'environnent d'une écorce de buée. Ainsi ta pudeur, ainsi mon regard. X Par blessure, par grand désir les uns aiment d'amour chaste. Cela n'est pas bien, seul par obéissance cela est bien. XI L'âme devant le monde : le chat devant la soucoupe de lait... S'il y a un sage, qu'il se présente ! XII Sur le toit de sa chambre la nuit qui marche comme une colombe. Je l'écoute. Je suis déchiré, je cherche. « Fruits de ma douce femme ne m'appartenez pas. » Ma plus pressante demande est d'apprendre à aimer. XIII La bien-aimée J'ai deux femmes : par admiration j'aimerais donner ma vie à l'une pour la remercier, à cause de l'autre je devrais devenir un saint. Je suis un faible passereau. XIV Je voudrais que les baisers remplacent les chants d'oiseaux Qu'ils pépient dès l'aube sur tes joues, tes paupières. Je voudrais que la nuit remplace le jour, que la prière remplace le travail, que le silence remplace les paroles. Je voudrais que l'éternité remplace cette vie ne seraii-ce qu'un instant. XV Un paysan s'empoigne la tête Je déteste les anges et je les étudie. J'observe les bêtes et je les comprends. Car trois choses sont bonnes pendant la nuit : forniquer, regarder la lune ou prier. XVI Toutes les femmes en une L'amante dit : « Je serai ta sour, ta mère, ta fiancée, ta putain, ta princesse, ta sorcière. » Lui répond : « Je suis des morceaux de moine, de paysan, de seigneur, de poète, morceaux de vieillard et d'adolescent. « Cuisons ensemble. Les anges ou le diable se réjouissent du fumet de la marmite. » XVII L'amour qui s'éloigne J'ai perdu la Dame que j'aimais. Dans le ciel elle était un tiercelet. Et comme je l'adorais encore, j'ai reçu une crotte dans l'oil. Celte crotte que la publicité nomme diamant. Et me voilà poète ! XVIII Celui qui aime est un animal sans défense. L'âge de raison n'existe pas. Les enfants de cinquante ans cuisent le pain, cueillent le raisin et commencent à parler avec l'ombre. Mais leur secret, c'est leur maîtresse. Par elle, la peau sous le veston ils gémissent. Vie cherche vie. Pas fou s'abstenir. Ecrire aux Parques. XIX Note pour trio Franc jeu : tuer une âme et respecter l'autre ; ou adorer une partie de l'âme et brûler l'autre. Dans mille ans l'amour sera-t-il partageable ? XX Que le donneur de grâces passe dans ma rue ! Il crie : « Ciel bleu ! ciel bleu ! » J'ai été un idiot de nuit, j'ai choisi de n'être pas aimé. Je joue perdant après avoir entendu les couples de rossignols. XXI Je vous demande : Où vont les chants d'oiseaux quand les corps ne les enveloppent plus ? XXII L'arc-en-ciel a disparu, la pruine, la rosée qui vêtait cette femme. Elle hurlait en dedans, ô Marie pleine d'épines ! J'ai lu dans la grande bible de la ferme que j'irai vers cette fontaine, que j'irai vers cette source à la fois comme un pèlerin et comme un chien qui lape. XXIII Petits paradis Nous nous sommes cachés. Le monde était rafraîchi de beauté quand les juges ne le toisaient plus. La société était dissoute mais un lacet de fil rouge m'étranglait si je t'aimais trop. Cantique des cantiques : mensonge des mensonges ! Car je n'ai jamais su choisir entre l'enfance et la passion. Aie pitié. XXIV Pourquoi ? Tu m'as ébloui. Pour admirer les cerisiers en fleurs, les mères au Japon conduisent même les petits aveugles. L'Eglise nous conduit ainsi devant les jeunes filles. XXV Celui qui entend la goutte de sang - Confessez-vous, Valaisan de Provence ! - Je craignais toujours de faire mourir quelqu'un. Mes pensées étaient meurtrières quand j'aimais. Tel être vivait et en face tel autre dépérissait. - Eh bien, c'est l'envoûtement avec le choc en retour ! - La virilité n'est jamais coupable. - Vous êtes troublés dans vos montagnes ! - J'ai lutté avec l'ange au corps, avec le diable au cour. Elle est ronde et innocente, la terre. Contre elle, entre dans la nuit. - Viens ! - Où ça ? Soudain tes seins sont hors du gîte de mes mains. Mais je ne sais pleurer d'amour sans sourire. Réfléchissant à tout j'ai écrit mon epitaphe : « Vive la fuite ! » |
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Maurice Chappaz (1916 - 2009) |
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Portrait de Maurice Chappaz | |||||||||
BiographieMaurice Chappaz esi né le 21 décembre 1916, dans une vieille famille de notables el d'avocats de Martigny. Son oncle, Maurice Troillei, grand propriétaire de vignobles, sera Conseiller d'Etat du Valais pendant quarante ans et président du Conseil national suisse. C'est lui qui soutiendra Maurice Chappaz lorsque celui-ci, refusant de poursuivre ses études de droit, rompra avec sa famille pour se co Orientation bibliographiqueNé en 1916 à Lausanne, Maurice Chappaz passe son enfance à Martigny et à l'Abbaye du Châble, demeure familiale. Il fait ses études au collège de l'Abbaye de Saint-Maurice où il obtient une maturité latin-grec. Dès 1937, il suit des cours de droit à Lausanne qu'il abandonne en 1940 pour des études de lettres à Genève. La même année, Un homme qui vivait couché sur un banc lui vaut un prix de la revu |
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