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Pierre Corneille |
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La supériorité de Corneille n'est pas la simple expression d'un génie qui se serait évanoui après 1643. C'est la résultante d'une conjonction entre ses capacités, son statut socioculturel, les forces et aspirations d'une époque et les possibilités d'un genre. Conjonction favorisée par un esprit qui ne cesse de réfléchir sur l'actualité pour proposer des solutions politiques et théâtrales originales, en partant le plus souvent de sources obscures, qui lui laissent une marge de liberté. < Seconde originalité, à un moment où presque tous les dramaturges dépendent d'un seigneur ou du pouvoir : les moyens et la volonté d'être indépendant. D'une famille d'officiers aisés, Corneille a lui-même deux charges (modesteS) d'avocat du Roi au siège des Eaux et Forêts et à l'Amirauté. Et il saura tirer rente de ses ouvres (6). Cènes, il a, lui aussi, des protecteurs : les ducs de Liancourt, de Vendôme, de Longueville. Et il a « l'honneur d'être » au cardinal de Richelieu (dédicace d'HoracE). Mais il a les moyens et l'audace de dire non et il reste loin de Paris, de la Cour, des Grands, des salons : là où il est son maître. Invité par son archevêque à célébrer Louis XIII et Richelieu, il répond par une Excusatio : « le premier peut-être » dans l'art du théâtre (trois ans avant Le Cid !), il connaît trop mal celui de l'éloge : je m'en voudrais, « Louis, de profaner tes triomphes ou de déshonorer Richelieu d'une lyre vulgaire ». Il les célèbre toutefois, mais moins longuement que lui-même (1633). Membre du groupe des cinq auteurs qui rédigent les pièces proposées par Richelieu, il le quitte ou en est « exclu [...] pour n'avoir pas su assujettir la force et la sublimité de ses pensées toutes libres » aux désirs du maître (Campion, 1642). Après la mort de Richelieu, quand les haros remplacent les flatteries, il pourra protester qu'il n'en dira ni « bien » ni « mal », comme par le passé : Comme de ton vivant je m'abstiens à me taire. Indépendance et fierté. Voici la provocante proclamation de l'auteur du Cid, un mois et demi après la première représentation : Je sais ce que je vaux, et crois ce qu 'on m'en dit : Pour me faire admirer, je ne fais point de ligue, J'ai peu de voix pour moi, mais les ai sans brigue. Je ne dois qu 'à moi seul toute ma renommée Et pense toutefois n 'avoir point de rival A qui je fasse tort en le traitant d'égal. On comprend que cette « âme fïère et indépendante » (FontenellE) ait excellé dans la tragédie héroïque. Mais, quoique cela n'explique pas tout, il n'a pu être indépendant que parce qu'il en avait les moyens. Il n'a pu être fier que par la conscience d'être fils de ses ouvres, comme on l'est dans sa classe. Son statut personnel ne l'entraînera pas à remplacer les princes des tragédies par des bourgeois qui ne pouvaient encore signifier la grandeur ni dans la langue ni dans l'imaginaire de son temps (7). Il sera même particulièrement vigilant à ne prendre comme héros que de grands seigneurs. Mais le bourgeois de Rouen, l'avocat du Roi sait leur proposer une carrière exceptionnelle : le dévouement à l'État pour le salut de la patrie. La conjonction entre son statut et sa fierté le plaçait à la rencontre des deux forces antagonistes des années trente : l'héroïsme aristocratique et le pouvoir d'Etat, l'énergie passionnelle et la discipline rationnelle. Son lucide intérêt le poussait à subordonner la première à la seconde. Issu d'une famille qui s'élève par les offices, lui-même avocat du Roi, c'est-à-dire défenseur des intérêts de l'Etat, Corneille est résolument monarchiste : il le restera même pendant la Fronde. Sa carrière d'officier, de littérateur, voire d'entrepreneur en librairie et en spectacles a besoin de la garantie de l'ordre nouveau. Il perçoit que l'Etat est alors nécessaire à la promotion de la bourgeoisie administrative et libérale. Au moment où l'Etat devient en effet le médiateur des nouvelles valeurs, il est préparé à se lancer dans l'épopée de salut public, alors que leurs attaches en excluaient ses concurrents. 2. Succès, impuissance et conversion des autres dramaturges Comment savoir si Mairet, Rotrou, Tristan, Du Ryer étaient naturellement inférieurs à Corneille ? On peut dire en revanche que leurs attitudes étaient moins adéquates aux besoins et possibilités de la tragédie en 1635-1642. A l'époque où la fantaisie du désir avait encore ses chances, la Sylvie de l'opposant et libertin Mairet est un petit chef-d'ouvre. Mais plus question, après 1630-1632, de réussir dans cette voie. Une nouvelle conjoncture mobilise les esprits, transforme leurs aspirations et leurs structures. La nature, la liberté du désir, tout un secteur de la thématique et de l'imaginaire, tout un langage sont frappés de stérilité ; les nouveaux signifiants sont politiques et rationnels. Montmorency, fastueux mécène, est décapité le 30 octobre 1632. Mairet, qui lui restera fidèle, écrit alors Sophonisbe (décembre 1634, 1635). Les Romains et leur allié Massinisse ont battu Syphax. Massinisse est tombé amoureux de la femme du vaincu, la Carthaginoise Sophonisbe. Mais Rome (figure classique du pouvoir d'ÉtaT) exige sa mort. Massinisse se tue après elle - alors que dans Tite-Live, comme plus tard chez Corneille, il se laissait consoler. Sophonisbe est notre première tragédie héroïque ; son succès contribua à lancer le genre ; la concentration de l'action, la tension des volontés, la fermeté du style lui vaudront l'estime de la postérité : quinze éditions depuis 1700. Tristan, secrétaire de Monsieur*, pivot de tous les complots contre Richelieu, Du Ryer, secrétaire du duc de Vendôme, autre leader de l'opposition, Rotrou, protégé lui aussi par des opposants, se tournent vers la tragédie pour dénoncer la tyrannie. En 1636, Lucrèce de Du Ryer (où le fils du tyran viole l'héroïnE) et Marianne de Tristan (où le tyran jaloux fait périr sa femmE) sont d'intéressantes tragédies de déploration pathétique. Mariamne, d'une intensité frénétique et d'une concentration classique, eut un très grand succès. Mais l'exaltation patriotique de cette année 1636 dévalue la déploration et la vision de l'État comme tyrannie. Le Cid montre la fécondité du point de vue inverse. Du Ryer mêle aussi l'amour et la politique, dans une tragédie ambiguë, et d'une rigueur classique, Alcionée (1637) (8), qui eut un vif succès et plut au Cardinal. Tristan renonce pour six ans. La situation des dramaturges liés à l'opposition tend à les paralyser. Ils ne sauraient se défendre ni d'une certaine admiration pour Richelieu ni de sa protection. De plus, ils veulent chanter l'héroïsme des Grands mais ne peuvent montrer que leur défaite - au mieux la dignité de leur suicide : toutes les possibilités épiques de la conjoncture sont pour eux lettre morte. La situation est telle qu'eux-mêmes ne croient guère à l'héroïsme de leurs protecteurs, qu'ils ne sauraient toutefois dénoncer. Voilà pourquoi leurs protagonistes sont généralement des femmes : mais pour tirer tout le profit de cette alternative féminine à un monde réel dominé par l'État et la raison, il eût fallu l'imaginaire révolu de L'Astree. Enfin, l'histoire fait de ces auteurs des agents d'une esthétique de discipline opposée à leur vision. Leurs signifiants contredisent la signification qu'ils visent. Leurs tragédies sont anticentralistes par leur sujet - la dénonciation de la tyrannie -, par un dynamisme libertaire ou un lyrisme irrationnel qui aime le rêve, l'au-delà, le hasard, les métamorphoses. Mais elles sont centralistes par leurs langages : elles respectent assez bien la discipline de la vraisemblance et des unités, celle de la dramaturgie et de l'alexandrin. Mairet demeure intensément fidèle à Montmorency, mais il a dû accepter la protection de Richelieu. 11 rêve d'une grande ouvre qui exaltera les « morts sans offenser les vivants ». En fait, il quitte la tragédie politique et régulière pour revenir dès 1637 à la tragi-comédie sentimentale et romanesque. Les résultats sont très médiocres. Ce genre n'intègre plus les problèmes ni les aspirations ; son heureux retournement n'a plus aucune prise sur les esprits. En 1640, Sidonie reprend le sujet de Sylvie (p. 57). Mais il n'y a plus de forces vives pour opposer même une fiction féconde au centralisme triomphant. Ici, le mariage demandé par la raison d'État n'est évité que parce qu'on découvre que l'époux prévu est... le frère de Sidonie. On ne retrouve pas le lyrisme entraînant de Sylvie ; l'amour qui était à la fois sensualité, liberté, participation à la valeur, n'est plus que fade galanterie. Ce n'est pas l'affaiblissement d'un auteur qui est en cause, c'est toute une condition historique, toute une mentalité, vitaliste et libertine, qui s'évanouit devant le triomphe du rationalisme devenu le seul moyen disponible de pleine signification. Après cet échec, Mairet renonce au théâtre. Après la mort de ses protecteurs (1641-1642), Rotrou non plus n'en cherche pas d'autre. Mais il revient à une esthétique baroque adéquate à la crise de la Régence (cf. p. 144-145) (9). |
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Pierre Corneille (1606 - 1684) |
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Portrait de Pierre Corneille | |||||||||
Biographie / OuvresLe berceau de la famille Corneille est situé à Conches-en-Ouche où les Corneille sont agriculteurs et marchands tanneurs. Le plus lointain ancêtre retrouvé est Robert Corneille, arrière-grand-père du dramaturge, qui possède un atelier de tannerie établi en 1541. ChronologiePierre Corneille naquit à Rouen le 6 juin 1606. |
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