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ARTHUR RIMBAUD OU GUERRE À L'HOMME!


Poésie / Poémes d'Arthur Rimbaud





L'HOMME COMPOSÉ INSTABLE

N'importe qui peut éprouver à un moment ou l'autre la stupeur d'être. C'est une vérité qui, si elle était mieux connue, troublerait bien des sommeils.

Il est étrange qu'il puisse suffire d'un escalier tournant, d'un regard jeté un soir sur la plaque d'émail posée au-dessus d'une porte pour indiquer le numéro qui détermine la place d'une maison dans une rue, ou du simple passage d'un taxi, pour que l'homme le plus normal soit tellement bouleversé, qu'il cesse un instant d'être un homme.

Il commence par être prodigieusement étonné que les yeux d'une passante soient verts, que le marbre de sa table soit dur et inversement. Mais bientôt, et quoique nullement accoutumé aux spéculations métaphysiques, c'est d'être lui-même, qu'il est bouleversé. Il ne peut le croire. Et l'angoisse le fait suer.

Doute fécond ! En vain, il se cramponne à ses vêtements et étreint ses cuisses. Il sort de lui-même comme une bille lancée trop fort s'échappe des limites du jeu. Il tombe d'une chute sans espoir à travers les espaces dangereux où régnent les Puissances.



LES TRICHEURS SYSTÉMATIQUES

De plus en plus informe, saisi par la terreur comme dans ses rêves d'enfance où métamorphosé en épingle il lui fallait éviter la trajectoire fatale des oreillers étouffants, et où pourtant il ne pouvait faire de crochets, il tombe, il ne peut que suivre une ligne de chute rigoureusement verticale et cependant il doit éviter les dangereuses Puissances.

Oh ! rester homme, gémit-il ! rester un homme ? Que vais-je faire parmi les Puissances" !

L'homme qui a subi par accident ces intolérables souffrances sera certainement surpris d'apprendre que certains de ses «semblables» passent leur vie à la recherche de cette aventure.

Ils ont systématisé la stupeur d'être. Il y en a toujours qui aiment brouiller les cartes, toucher le but quand on dit « pouce », et lancer la bille hors des limites du jeu. Et c'est avec la plus grande mauvaise foi qu'ils jouent leur rôle d'homme. Ils se sont aperçus qu'ils pouvaient employer leurs facultés pour d'autres fins que celles pour lesquelles Mère Nature les leur avaient fournies''. Et ils s'en donnent à cour joie de tricher. Le metteur en scène en devient fou.



Et qu'on croit bien que ce n'est pas par simple plaisir! La Tricherie pour la Tricherie sort du même magasin que l'Art pour l'Art. Nous trichons parce que les conditions de la vie humaine sont complètement intolérables. Vieux fait bien établi. Ce n'est pas d'aujourd'hui que la guerre a été déclarée à l'homme.



L'ÂGE INGRAT

Puisque chacun a su à un moment de sa vie mener noblement le combat contre l'homme.

Je parle de ce moment de la vie qui fut si magnifiquement appelé «l'âge ingrat».

Nom magnifique par son ironie. Quoi donc, jeune impubère, qui n'a pas atteint ta septième année, tu oses te rebeller contre celui qui t'a engendré au fond du ventre glorieux de ta mère, dans le triple but d'éprouver le plaisir bien connu de l'orgasme, de se prolonger, lui, sa famille et son nom en un être de chair et d'os, et de fournir à la France, notre chère patrie, un nouveau défenseur ?

Age ingrat! le seul âge que nous souhaitions avoir. Il est toujours nôtre l'enfant qui sanglote et mord ses draps parce qu'il a peur d'oublier ce qu'il veut depuis quelques jours et de devenir un jour semblable à son père.

Âge ingrat! nom qui sera celui de l'ère qu'a ouverte Rimbaud. Notre siècle a commencé avec le geste de l'enfant qui, dans un square de Charleville, a brandi une chaise contre sa mère en disant «Merde» parce qu'elle ne voulait pas lui acheter une nonnette.

- Et pourtant je l'ai engendré dans la douleur, a gémi la femme. Enfin ! c'est l'âge ingrat. Il y en a pour quelques années.

L'âge ingrat ne finira plus, Mme Rimbaud.



UNE INGRATITUDE SYSTÉMATIQUE

Je conseille à un nouveau Fourier, s'il s'en trouve, de dresser un tableau systématique des diverses formes de l'activité humaine et d'inscrire en regard les moyens qu'Arthur Rimbaud utilisa contre elles.

Pour moi, je me contenterai de citer, à la suite les unes des autres, quelques phrases de la Saison en Enfer, qui montreront par leur simple assemblage l'universalité de la révolte de Rimbaud.

- La morale est la faiblesse de la cervelle.

- Un soir, j'ai assis la beauté sur mes genoux et je l'ai trouvée amère. Et je l'ai injuriée...

- Je parvins à faire s'évanouir dans mon esprit toute l'espérance humaine.

- Sur toute joie pour l'étrangler, j'ai fait le bond sourd de la bête féroce.

- Le compagnon d'enfer dit: «À côté de son cher corps endormi, que d'heures des nuits j'ai veillé, cherchant pourquoi il voulait tant s'évader de la réalité...»

- J'envoyais au diable les palmes des martyrs, les rayons de l'art, l'orgueil des inventeurs, l'ardeur des pillards; je retournais à l'orient et à la sagesse première et étemelle.

Que le lecteur maintenant fasse un effort synthétique. Que ses yeux fixent un point de l'espace, qu'il veille à ce que les muscles de ses membres soient déliés et lâches, qu'il respire deux ou trois fois profondément, et qu'il médite, s'il le sait, sur quelques phrases d'Arthur Rimbaud et sur ce que j'ai dit jusqu'ici.

Et qu'il sente ce que peut être l'effort d'un homme, d'une individualité crispée au centre de tout, qui veut briser cette écorce qui la sépare et la distingue, qui veut «écarter du ciel VazWr qui est encore du noir», qui pour Être veut n 'être plus.

Elle est retrouvée Quoi? L'Eternité

VERS LA LUMIÈRE NATURE

Rimbaud raconte avec une assez grande précision, dans la Saison en Enfer", les différentes étapes par lesquelles il est passé.

Je résume.

D'abord, prétexte littéraire. Révolte contre l'art: «j'aimais les peintures idiotes». Utilisation de la poésie comme d'une incantation qui bouleverse l'ordre du monde :

Puis le prétexte littéraire disparaît. «La vieillerie poétique avait une bonne part dans mon alchimie du verbe. Je m'habituai à l'hallucination simple. »

Parallèlement à ce progrès dans la perception du monde, s'accomplit un progrès de même espèce sur tout le plan de son être. L'incohérence de plus en plus marquée de sa vie et le témoignage de Verlaine en sont la preuve.

Il devient oisif, en proie à une lourde fièvre: «j'enviais la félicité des bêtes, - les chenilles qui représentent l'innocence des limbes, les taupes, le sommeil de la virginité !

... Je disais adieu au monde...»

Enfin, le résultat approche :



«Écoutez!

J'ai tous les talents ! - Veut-on des chants nègres, des danses de houris ? Veut-on que je disparaisse, que je plonge à la recherche de l'anneau ? Veut-on ? Je ferai de l'or, des remèdes. »

«Enfin, ô bonheur; ô raison, j'écartai du ciel l'azur qui est du noir, et je vécus étincelle d'or de la lumière nature. »



CHUTE AUX ENFERS

Mais aussitôt c'est la chute brutale.

Rimbaud, alors que nous le pensions dégagé du sensible, devenu substance", résorbé dans le Tout, et jouissant de la béatitude, souffre. Et empruntant aux religions un de ces termes qu'elles ont détourné de leur véritable sens, il lui redonne toute sa signification en disant qu'il est en enfer.

Il souhaite de revenir en arrière :

«Moi! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher et la réalité rugueuse à étreindre. »

Que s'est-il passé ?



QU'EST-CE QUE L'ENFER?

Je ne m'étonne nullement qu'il ait renoncé à la médiocre aventure littéraire. Là où le conduisit sa méthode, qu'il y persistât eût seul été surprenant.



Si Rimbaud était parvenu à ne plus penser son individu mais à penser la substance, il eût été normal que son corps, replacé dans le monde, vécût une vie de corps humain. Et nous l'imaginons mieux dans les déserts de l'Abyssinie que dans les salons littéraires de Paris.

La question est autre. Pourquoi Rimbaud souffre-t-il soudain toutes les peines de l'enfer ? pourquoi sa révolte totale contre l'homme, la plus totale, qui fut jamais, échoue-t-elle?

«Un homme qui veut se mutiler, est bien damné, n'est-ce pas» interroge-t-il. L'accent porte sur le vouloir. Il semble se croire puni parce qu'il a voulu sa révolte, parce qu'elle a été l'exécution d'un plan, une tentative consciente de magie.

La volonté consciente est contraction de l'individu sur lui-même. Il y a une contradiction qui n'est pas seulement logique dans le fait d'un individu qui veut détruire son individualité.

Plus profondément l'individu se détruit, plus profondément il s'affirme. Il est plus, à mesure qu'il est plus capable d'attaquer des couches plus profondes de lui-même". Il va en sens inverse du résultat recherché. Tel est, sans doute, le sens véritable de la croyance que qui cherchait le ciel par magie noire atteint l'enfer.

Autre est l'attitude qu'il faut prendre dans la guerre contre l'homme. C'est bien plus par conscience de cette nécessité que pour une prétendue libération des couches profondes de l'individu, qu'on doit préférer sur le plan littéraire l'écriture entièrement inspirée* à d'autres formes plus volontaires de l'écriture. C'est une façon d'aborder le problème.



RIEN NE VA PLUS

Pour sortir d'Enfer le suicide n'est pas une solution. C'est encore une affirmation de la volonté et de l'individu.

Le catholicisme est un compromis de mauvais goût. Nous ne nous attarderons pas à réfuter la thèse imbécile de M. Paul Claudel, ambassadeur de France. Rimbaud n'a pas discuté avec Verlaine, quand celui-ci lui chanta des psaumes à Stuttgart : il l'a abattu d'un coup de poing.

«Quant au bonheur domestique établi ou non... non je ne peux pas. La vie fleurit par le travail, vieille vérité : moi, ma vie n'est pas assez pesante, elle s'envole et flotte loin au-dessus de l'action, ce cher point du monde. »

Ni suicide, ni conversion, ni « la vie humble aux travaux ennuyeux et faciles ». C'est en voyageant, et en se mettant sans cesse aux prises avec les plus rudes réalités que Rimbaud a le plus de chance de se réadapter, de devenir un homme normal, ce qu'il souhaite le plus au milieu de ses souffrances.



ET L'ON REPART! FAITES VOS JEUX!

Rimbaud est le vaincu dans sa guerre contre l'homme.

Il a perdu le Grand Jeu. Mais que nos ignobles contemporains ne s'en réjouissent pas trop. Dans un dernier sarcasme, il leur a crié :

« Oui, j'ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre.

«Mais je puis être sauvé. Vous êtes de faux nègres, vous, maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre... »

Entendez-vous marchand, magistrat, général?



Entends-tu, Ambassadeur de France? Rimbaud a été vaincu. Soit. Mais la bataille n'est pas finie. «Viendront d'autres horribles travailleurs: ils commenceront par les horizons où l'autre s'est affaissé. »

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Arthur Rimbaud
(1854 - 1891)
 
  Arthur Rimbaud - Portrait  
 
Portrait de Arthur Rimbaud

Biographie

Arthur Rimbaud est né à Charleville-Mézières (dans les Ardennes) le 20 octobre 1854. Sa mère, Vitalie Cuif, est une femme très autoritaire et son père, Frédéric Rimbaud, est militaire.
En octobre 1862, Rimbaud entre à l'Institut Rossat, une école fréquentée par les enfants de la bourgeoisie de Charleville. En 1865, il entre au collège de Charleville et commence à écrire. En 1870, il se lie

Bibliographie

La bibliographie rimbaldienne est considérable. Pour la seule période 1869-1950, dans les 536 pages du premier volume de sa thèse le Mythe de Rimbaud (Genèse du mythe, Paris, Gallimard, 1954 ; rééd. 1968), Étiemblc dénombrait déjà 2 606 livres ou articles, en France ou ailleurs. Pour la période 1968-1990, Yoshimi Yam3guchi, dans un récent numéro « Rimbaud » de la revue japonaise lichiko (n 17, Tok

Cronologie


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